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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Ouzellaguen 25-28 juin 1851 - Autopsie d'un grand combat - Les combats dans les fractions de Tighilt Lahfir et d'Ifri

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 12 Février 2013, 15:12pm

Catégories : #Histoire des Ouzellaguen

 

b) Sur le front oriental

Que s'est-il passé dans les fractions d'Ifri et de Tighilt Lahfir avec la colonne de droite et la moitié des troupes de la colonne du centre, pendant que le reste des troupes françaises étaient sérieusement engagées dans la fraction d'Ibouziden ?

Voici ce qu'écrit Camou :

"Les colonels de Cambray et Jamin achevaient dans le ravin la mission qui leur avait été confiée : la colonne de droite, seule, engagée en quelques instans sérieusement avec des Kabyles embusqués, a eu 2 tués, dont 1 officier, Ben Dris, lieutenant de tirailleurs indigènes."

Le rapport est ici laconique et l'action dans cette partie du territoire des Ouzellaguen semble un peu rejetée dans l'ombre par les âpres combats rencontrés dans la partie d'Ibouziden, la plus difficile du territoire et celle qui se prête le mieux à la défense. Camou a laissé partir le colonel Jamin et un bataillon et demi du 8e de ligne pour dévaster et brûler à mi-pente à partir d'Ighil N'Tara et parallèlement à la ligne de crête, un

 

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secteur fortement boisé[1], probablement pris par le maquis.

Il est possible de suivre le trajet du 8e léger et des tirailleurs et celui du bataillon et demi du 8e de ligne puisqu'ils sont portés sur le croquis réalisé par le capitaine Balland. Mais, par des localisations fantaisistes, il ne règle pas toutes les questions. De plus, on ne peut apprécier le déroulement des combats sur ce second front, ni connaître la façon avec laquelle les contingents kabyles se sont battus. Toutefois, la seule mention que donne Camou, dont le rapport, reconnaît-il lui-même, est bien long, forcé en conséquence d'écourter la part attribuée au second front, est que la colonne de droite, avec près de 2000 hommes, a rencontré une sérieuse résistance "avec des Kabyles embusqués", à certain moment indéfini, lui coûtant deux hommes tués, dont un officier, Ben Dris, lieutenant des tirailleurs indigènes.

La colonne de droite, composée des tirailleurs indigènes et du 8e léger, a quitté le camp, en tête et en même temps que la colonne de gauche, en franchissant l'Ighzer Amokrane, pour se retrouver sur le plateau près de Selouana, partie relativement plane et dégagée, appartenant aux At Oughlis, fraction des Imsouhal. De là, elle suivit l'Ighzer, le remontant et le dominant, puis, au large du confluent que forme l'Ighzer Isgouan avec l'Ighzer Amokrane, elle revint sur les Ouzellaguen par l'Harandjour, position qui pouvait être défendue par les Ouzellaguen s'ils avaient voulu gagner du temps, et qui porte un hameau à son sommet, avec autour des ravines, Tighezerin, et des azibs.

Elle monta la campagne de la fraction de Tighilt Lahfir, passant à l'est des villages, sur leur flanc gauche, avec l'intention évidente, non de les abattre dans une progression en ascension, trop épuisante, mais de les envelopper par la ligne de crête, avec ses deux mamelons remarquables qui dépassent les 1100 mètres. Ainsi, lesdits villages seraient pris en étau entre elle et les troupes du colonel Jamin. Par un rabattement et une action de descente des troupes légères de la colonne de droite, les villages seraient pris avec facilité, grâce à des tirs en plongée, d'autant plus qu'ils présenteraient à l'agresseur leurs abords les moins fortifiés et les plus vulnérables.

 

Les combats et la destruction de Taourirt

 

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Le croquis du capitaine Balland nous apprend que la colonne a essuyé trois combats, tout au long de son parcours. Elle a livré son premier combat – on s'étonne qu'il se soit produit si haut et si tardivement – à Taourirt, au sommet du mamelon qui culmine à 1145 mètres d'altitude. Aucun village n'est mentionné à cet endroit, sur lequel il est seulement porté un signe de bataille. Tout porte à croire que celui, abandonné, dont on reconnaît aujourd'hui les fondations et les traces au sol a été détruit par la colonne. Des empierrages, de petits remparts même, aux pierres grossièrement ajustées, taillées ou non, de toutes dimensions, garnissent à façon d'auréoles concentriques, les approches du sommet, spécialement sur la pente, tout de même la moins bien défendue naturellement, qui regarde vers Tizi N'Chéréâ, Tizi N'Berber et les At Oughlis. On raconte aussi que les Ouzellaguen, avec leurs alliés, ont fait rouler des pierres sur les assaillants depuis le sommet, fait qu'il est aisé d'accréditer.

 

Deux nouveaux combats entre Taourirt et Tizi N'Chéréâ

Les tirailleurs et le 8e léger poursuivirent leur ascension au-delà de la ligne de crêtes, sur le revers des deux mamelons. Là, dans une étendue relativement plane, avec un tapis d'herbes, des touffes de diss et quelques bois, sur le plateau en dessous de Tizi N'Chéréâ, surmonté de buttes aux formes mollement arrondies, deux nouveaux combats pour les contrôler sont livrés, le premier par le 8e léger, seul ou à l'aide des tirailleurs. Ces derniers poussèrent par l'ouest sur la butte prochaine qui regarde en direction de l'amphithéâtre, sur le village de Timilyiwin, la pente opposée de la butte étant couverte par un bois. C'est sur cette dernière butte qu'eut lieu le troisième combat.

La progression en pointe des tirailleurs, suivis de près par le 8e léger, s'arrêta à ce dernier endroit. Ils ne purent ou n'essayèrent pas d'approcher davantage ou de franchir le col de Chéréâ que garnissaient vraisemblablement les contingents refoulés. Un tel fait ou une telle intention seraient inévitablement jugés comme dangereux dès lors que cela signifiait la transgression des instructions formelles du ministère de la guerre hostiles au franchissement du Djurdjura. En second lieu, ayant progressé plus vite que les deux autres, jusqu'aux crêtes du Djurdjura, la colonne de droite se trouve isolée et ne peut, en cas de réel danger, attendre des renforts rapides et efficaces.

Sur le trajet de retour ou de descente de la colonne de droite, on ne sait ce que sont devenus les contingents kabyles des villages de la fraction de Tighilt Lahfir. Il est probable que, refoulés par les combats, ils aient évacué les villages, car

 

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ceux-ci sont mentionnés comme détruits et incendiés mais sans que soient signalés d’éventuels combats.

En se repliant, le bataillon de tirailleurs indigènes a détruit le village nommé sur le croquis du capitaine Balland "B. [Beni] Hadaden", localisé sur un site d'interfluve, en le prenant par ses hauteurs, suivant en cela le chemin qui le relie à Tizi N'Chéréâ. Tout porte à croire qu'il s'agit d'Igheban, village important de la fraction d'Ifri. Ce qui permet de le dire est l'observation serrée du croquis rapportée à la topographie réelle, fonction des ravins, des pentes et des chemins. Le bataillon de tirailleurs pénètre au fond du ravin de l'Ighzer Isgouan, au milieu du domaine villageois. On ne sait ce qu'il fit réellement car son trajet reste imprécis.

 

La destruction des villages de la fraction de Tighilt Lahfir

Le 8e léger contourne la montagne qui porte le village détruit de Taourirt par un de ces chemins qui vient de Tizi N'Chéréâ et regarde vers l'intérieur de l'amphithéâtre. Il débouche alors sur les hauteurs du petit village de Chehid, qui est détruit.

C'est peut-être à cette occasion que l'autre petit village, cette fois des marabouts de Sidi Ahmed ou Saïd, les plus influents des Ouzellaguen, avec leur zawiyya ou maâmera, est lui aussi détruit. Balland n'a pas manqué de porter de façon bien visible le nom du village, signe que l'état-major lui attachait beaucoup d'importance. Sidi Ahmed ou Saïd est pourtant localisé avec désinvolture. Il en est davantage pour Tighilt Lahfir.

Par la suite, ce fut au tour du village qui est nommé "Ihadaden" d'être livré aux flammes. Sous cette dénomination et grâce à sa distribution topographique, on identifie sans conteste le village de Tigzirt, peuplé dans sa grande majorité par des Ihaddaden, en l'occurrence des forgerons.

Tighilt Lahfir est le plus grand village des Ouzellaguen, couplé mais aussi séparé par un petit ravin de cet autre grand village que l'on nomme soit At Chilla, soit Nasroun, suivant l'usage retenu. Tighilt Lahfir est porté sur la rive droite de l'Ighzer Isgouan alors qu'il est en réalité localisé sur la rive gauche. Sur le croquis du capitaine Balland, le 8e léger est placé face au village. Pour qu'il puisse être représenté à cet emplacement, il a dû, selon toute logique, détruire au préalable le village de Tigzirt. L'affaire a peut-être été concertée avec les troupes de ligne du colonel Jamin, réalisant une prise en étau. Le croquis du capitaine Balland reste néanmoins trop confus, et il pèche par la non indication des étapes horaires qui auraient permis de mieux

 

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rythmer les combats et les trajectoires des troupes. Par conséquent, l'incendie et la destruction de Tighilt Lahfir ont succédé à ceux de Tigzirt. Dans l'opération, il convient, bien entendu, d'inclure le village de Nasroun. Il n'était point nécessaire à l'adversaire d'individualiser ces deux villages qui pouvaient paraître aisément comme ne faisant qu'un.

Le déroulement des opérations sur ce second front présente des limites inhérentes à la source même qui lui accorde une moindre publicité. En l'absence d'autres éléments afférents, le simple tracé coureur sur un croquis de bataille confère une facilité toute tranquille à la marche de la colonne de droite, quand celui des contingents kabyle est dérobé, se profilant à peine à l'horizon. Il reste que la colonne de droite est la seule qui soit parvenue à remplir le mieux sa mission.

 

c) La fin des combats

La retraite des troupes françaises

Les combats se sont étalés sur une durée de 6 heures. Et c'est à 6 heures du soir que Camou décide la fin générale des combats. Il déclare alors, et c'est la motivation de la retraite, que "tous les villages de Ouzellaguen pillés et brûlés, toutes les colonnes commencèrent leurs dispositions de retraite". Il était nécessaire de prévoir le temps de la retraite, avant que le jour n'arrive bientôt à son terme et ne laisse la place à la nuit. Les Kabyles ont, par le passé, prouvé à plusieurs reprises qu'ils pouvaient se battre en pleine nuit, surprenant l'adversaire, notamment des Turcs trop aventureux.

La retraite est entreprise sans que la victoire ne soit totale, les Ouzellaguen ne se sont pas rendus à merci. Bien plus, il semble bien que les combats n'étaient pas tous achevés, la victoire d'un côté comme de l'autre n'a pas su faire taire les armes. Sur les crêtes d'Ibouziden, le général Camou proclame la cessation des combats sur une retraite des troupes du 3e bataillon du 6e de ligne provoquée par une contre-offensive des contingents kabyles qui avaient été repoussés au prix de lourds efforts. Les contingents kabyles ne s'avouaient pas vaincus. C'est probablement aussi l'impossibilité de faire conduire un suprême effort à ses troupes sur des crêtes escarpées qui le décida à rebrousser chemin et à sonner le rappel général des troupes. Il ne pouvait guère espérer des résultats nouveaux en poursuivant les combats.

Notons que la colonne sous les ordres du colonel Jamin n'a pas beaucoup progressé, qu'elle n'a pu venir à bout de la majorité des

 

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villages de la fraction d'Ifri. Sa mission n'a pas été complètement atteinte. Seule la colonne de droite semble avoir rempli une bonne partie de sa mission. Il reste que le véritable sort de la bataille s'est joué à Ibouziden.

Entre l'ordre de retraite et l'arrivée des dernières troupes au camp, deux heures se sont écoulées, signe que l'affaire est longue, et que dans d'autres circonstances, elle pouvait se gâter. D'ailleurs, l'arrière-garde est laissée aux soins même du général Bosquet, et Camou s'en montre satisfait ; autre signe que l'affaire est particulièrement prise au sérieux.

Camou s'étonne de voir que sa retraite générale n'ait pas été inquiétée. Il interprète ce fait en disant que le châtiment donné aux Ouzellaguen a été si rude qu'ils restent désormais interdits. Mais parler de retraite, c'est bel et bien dire que la bataille n'était pas close. Six heures de combats n'ont pas suffi à amener les Ouzellaguen à soumission. Mais c'est aussi le signe qu'il pouvait s'attendre à ce que sa retraite soit bel et bien inquiétée. Face à telle menace, il a fait prendre à toutes les troupes les "dispositions de retraite", qui doivent se faire dans la discipline et l'ordre, dans la sécurité et la vigilance.

Cet étonnement est aussi le signe que la colonne a été surprise par la qualité de la résistance qui lui a été opposée. Selon toute vraisemblance, depuis la formation de la colonne et au cours de ses divers combats, cette dernière n'avait pas fait l'expérience de combattants aussi tenaces. Le combat du Ier juin à Aïn-Anou, chez les Gheboula, si célébré par les Français en particulier dans le dessein d'anéantir le crédit militaire de Bou Baghla, devait se passer selon un scénario analogue à celui des Ouzellaguen. Mais celui-ci a été éventré par une action inattendue des troupes françaises, qui profitèrent d'une erreur d'un groupe de contingents. Ceux-ci ont été piégés alors qu'ils étaient en mouvement. Beaucoup se sont fait massacrer, décidant, prématurément, du sort général de la bataille. La force des Ouzellaguen est ici d'avoir pris des dispositions statiques, et non mobiles, car dans le domaine de la mobilité, ils ne peuvent pas lutter, l'ennemi reprenant alors sa supériorité habituelle.

L'ennemi qui se retire est souvent interprété dans la guerre d'Afrique, par les Arabes et les Kabyles, comme une victoire, au dire des militaires français. Le commandement de la colonne sait cela par expérience. Surtout, l'enjeu réel est d'empêcher que cette idée ne germe ou ne se propage, après chaque combat, dans l'esprit de son adversaire. Là, la signification est plus grande encore : les Français se retirent du territoire des Ouzellaguen, pour lequel ces derniers se sont âprement battus. Ils peuvent croire que la bataille si désastreuse, à tout point de vue, se

 

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conçoit finalement, avec amertume certes, puisque le territoire vient finalement d'être libéré.

Les Kabyles ont été sérieusement secoués. Le fait est incontestable. Ils ne peuvent, même dans l'euphorie de la victoire, passer à une contre-offensive générale, qui peut, dans leur cas, s'avérer néfaste. Ils perdraient leur véritable atout, l'attachement à des positions défensives très fortes. Dans une contre-offensive, ils ne possèdent pas les éléments déterminants en pareil cas : une cavalerie, et surtout des troupes relativement fraîches. De plus, on arrive en fin de journée ; il reste à peine le temps de se consacrer aux nécessités de l'après-bataille, la journée du lendemain risque aussi de réserver ses surprises.

Camou se montre particulièrement satisfait du comportement au combat de ses troupes, et il le fait savoir, en terminant son rapport, au gouverneur général :

"Toutes les troupes ont fait leur devoir, mais je me plais à citer le 3e bataillon du 8e de ligne, l'escadron de chasseurs et le goum : sous la conduite du commandant de Princey, du capitaine Charrabas et du capitaine Augeraud, ces braves gens ont fait merveille.

Ce rapport est déjà bien long, mon Général, cependant je ne puis le terminer sans vous dire combien j'ai été satisfait du concours du Général Bosquet, qui, particulièrement a bien voulu prendre en main, la conduite de l'arrière-garde : je me plais à citer les officiers de son état-major et du mien qui se sont acquités avec zèle et intelligence des missions pénibles dans des terrains très difficiles, je signale surtout le Capitaine d'Etat-major Besson qui me rend les plus grands services."

Ces lignes, ajoutées à un rapport long de plusieurs pages, révèlent l'importance particulière dont s'orne la journée du 25 juin, sur le sol des Ouzellaguen, aux yeux de Camou.

 

 

© Abdel-Aziz Sadki

mis en ligne le 12 février 2013



[1] La mention d'un bois est d'ailleurs portée sur le croquis réalisé par le capitaine Balland.

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