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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Ouzellaguen 25-28 juin 1851 - Autopsie d'un grand combat - Bilan de la première journée de combats

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 12 Février 2013, 15:35pm

Catégories : #Histoire des Ouzellaguen

 

 

Un bilan très inégal

 

Dans les rangs français...

 

Il est possible de connaître sans grande contestation le chiffre des pertes en vies humaines et des blessés, l'autorité militaire étant astreinte à faire des bilans d'effectifs rigoureux, selon des périodes régulières ou après chaque combat.

 

Dans son rapport daté du 26 juin, destiné au gouverneur général, le général Camou fait état de 2 officiers et de 4 soldats tués, et de 3 officiers et 20 soldats blessés. Or, dans l'état numérique de

 

p 89

 

 

la colonne, il est question de 2 officiers et de 6 soldats tués, le nombre des blessés étant toujours égal. Si on compte le capitaine Billot, on atteint le total de 9 morts. Pourtant la comparaison des situations numériques d'avant la bataille, au 20 juin, et d'après la bataille, au soir du 25 juin, fait apparaître un déficit total de 14 hommes. 9 retranché de 14, reste 5 : que sont devenus ces 5 hommes ? Ont-ils disparu entre les deux dates ? Dans le 2e escadron du 3e chasseurs d'Afrique, on remarque une différence négative de 7 cavaliers. Il est vraisemblable que ces derniers aient fait les frais dans leur charge contre le chérif. Peut-être quelques uns d'entre eux ont-ils été envoyés transporter la correspondance. En général, l'acheminement de la correspondance n'est pas le rôle de la cavalerie régulière. Le nombre des morts semble minimisé dans le rapport de Camou, rapport qui doit créer la meilleure impression à sa réception par le gouverneur général, des correctifs peuvent toujours être apportés ensuite, quand la pleine actualité de l'événement est tombée.

 

Au total, les troupes françaises accusent au moins 9 morts et 22 blessés, si on compte au nombre des tués le capitaine Billot, qui ne succombe à ses blessures que le lendemain, ainsi que 41 indisponibles, dont 2 officiers. Trois d'entre les morts sont des officiers, d'une part le sous-lieutenant Duvernois, du 22e léger, d'autre part le lieutenant Ben Dris, des tirailleurs indigènes, et enfin le capitaine Billot, des voltigeurs du 8e de ligne. Cette dernière perte est sensible, elle atteint une famille déjà fortement éprouvée. En effet, le capitaine Billot est le frère du commandant supérieur de Sebdou, Billot, tué en 1845, une mort qui avait fait grand bruit, spécialement dans les rangs français. Parmi les blessés, on trouve des officiers, le lieutenant Lhotte du 22e léger, sans gravité, et surtout un blessé de marque, le chef de bataillon de Princey, du 8e de ligne.

 

… et dans les rangs kabyles

 

L'appréciation des pertes des Ouzellaguen, des cavaliers du chérif et des contingents alliés est chose difficile. Camou se résout à une simple conjecture, sur des signes apparents. "Les pertes de l'ennemi, écrit-il, sont nombreuses ; la cavalerie a sabré plusieurs cavaliers et fantassins dans la charge sur le Chérif ; je n'ai pu apprécier exactement celles que l'infanterie a fait subir aux Kabyles parce qu'ils ont pu emporter les morts de la fusillade, mais de nombreuses traces de sang ont révélé l'étendue de leurs pertes." C'est une pratique courante des Kabyles que d'emporter leurs morts, ils ne conçoivent pas de les laisser à l'infamie de l'ennemi.

 

Des membres des Ouzellaguen sont arrivés au camp de Ti-Azibin, le

 

 

p 90

 

 

27 juin au matin, le surlendemain du combat. Ils apportent avec eux un éclairage attendu, Camou n'ayant pas manqué de les presser de questions pour tirer la pleine mesure de la bataille. Si leurs paroles donnent à penser qu'elles ont été rapportées avec quelques scrupules – d'ordinaire et pour des raisons compréhensibles, un tel domaine est enveloppé de la plus grande discrétion –, alors il convient de se ranger, raisonnablement, aux dires de Camou : "ils m'ont dit avoir enterré 30 morts, avoir beaucoup de blessés ; le cherif a perdu quatre de ses cavaliers : les Ouzellaguen ajoutent que les contingents venus à leurs secours ont aussi fait de grandes pertes, mais dont ils ne peuvent préciser les chiffres."

 

Le total de 30 morts, consigné dans le rapport Camou du 26 juin 1851, peut souffrir d'une mauvaise lecture, aux dépens du chiffre 90. Somme toute, l'inclination principale se fait au bénéfice de 30, et nous avons fait la même lecture que le commandant Robin, dans son ouvrage sur Bou Baghla. Dans le journal de marche de la colonne, cette fois, il est fait mention de façon incontestable de 90 morts : "Les Ouzellaguen pour leur compte avoir enterré 90 morts ; ils ne connaissent pas les pertes subies par les contingents zouaouas venus à leur secours : tous ont eu de nombreux blessés."

 

Dans quelle mesure est-on en présence d'une erreur de graphie dans l'un ou l'autre document, d'une erreur de lecture de notre part ? On est en droit de se demander également si l'autorité militaire a reproduit fidèlement les paroles des Ouzellaguen, si elle n'en a pas gonflé consciemment la portée. Argumenter, à défaut d'autres sources, est malaisé. Il convient toutefois de retenir le chiffre de 30 morts puisqu'il est contenu dans le rapport politique et militaire officiel de la colonne, expédié au gouverneur général par intérim Pélissier.

 

D'après le commandant supérieur de Bougie, Morlot de Wengi, dans son rapport politique du mois de juin, 200 Kabyles sont restés sur le champ de bataille, au titre de la journée du 25. La formule de style est ici frappante, les Kabyles n'abandonnent pas leurs morts sur le champ de bataille. Le passage tout entier se marque par une hostilité ostentatoire aux Ouzellaguen et au chérif. Au surplus, le chiffre 200 est encore un de ces chiffres largement arrondis, comme l'étaient les 300 d'Aïn-Anou, les 50 d'Elma bou Aklan... On a souvent tendance à prendre quelqu'un qui s'effondre dans les rangs adverses non pour un blessé mais pour un mort.

 

L'importance des pertes des Ouzellaguen, du chérif et de leurs alliés ne se discute pas, au contraire des chiffres. Ils n'ont pas opposé une résistance de façade. Au contraire, ils ont eu lutté jusqu'au bout, avec ténacité, ne reculant en rien devant de lourds sacrifices humains. L'inégalité de la guerre est une des explications de cette inégalité dans les pertes humaines. Toutefois, le

 

 

p 91

 

 

principe et la forme même de cette guerre ont aussi leur responsabilité : la conduite totale d'une guerre aux formes cruelles prônée par la colonne Camou-Bosquet met au pied du mur, sans aucune chance de salut, des populations qui, comme les Ouzellaguen et leurs alliés, connaissent déjà, traditionnellement, un sens aigu du sacrifice. De toute façon, leurs villages auraient succombé aux flammes comme leurs champs auraient été dévastés.

 

Un autre trait tient au fait que les Ouzellaguen ne livrent pas une bataille quelconque, péripétie d'une guerre plus vaste dont les batailles sont longtemps et souvent recommencées. Pour les Ouzellaguen, il s'agit d'un combat ultime, qui ne peut être différé, un combat sacré pour la défense du territoire, et mourir peut apparaître comme peu de choses devant la perte immense d'une fière indépendance et devant le joug du vainqueur qui s'abat. Qui plus est, les Ouzellaguen s'y préparaient depuis longtemps. Combien de fois ont-ils juré de combattre quoi qu'il advienne ? Ils luttent jusqu'à la mort pour défendre chaque pouce de terrain, qui est leur. Ceci explique qu'ils aient consenti à un si grand nombre de pertes.

 

 

© Abdel-Aziz Sadki

mis en ligne le 12 février 2013

 

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B
l'histoire de notre pays est pleine d'actes de bravoure.je suis fier d'y appartenir.Etant natif deSebdou (w.tlemcen),lieu ou a été abattu le cant Billot.ceci démontre on ne peut mieux que les<br /> habitants de ce grand pays ont combattu le meme ennemi et personne ne peut se prévaloir d'avoir son pays mieux que d'autres.
Répondre
A
<br /> <br /> Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> <br /> Effectivement, le capitaine Billot tué aux Ouzellaguen en 1851 a eu son frère précédemment tué comme je l'ai déjà signalé. Ce dernier, alors commandant supérieur du fort de Sebdou, a fait une<br /> tournée avec son chef des affaires arabes, le lieutenant Dombasles, un khodja et quelques hussards qui ont été tués début octobre 1845. J'apporterai des précisions sur cette affaire quand j'en<br /> aurai l'occasion.<br /> <br /> <br /> Il y a effectivement énormément d'actes de bravoure, pour reprendre votre terme, mais aussi beaucoup qui ne le sont pas et il y a également de nombreux cas où les hommes ont cherché à ne rien<br /> faire et à se tenir à l'écart des choix qu'impose l'histoire. Cela est valable pour tous les hommes, pour tous les peuples et à toutes les époques de l'histoire.<br /> <br /> <br /> Je ne comprends pas la dernière partie de votre phrase : "personne ne peut se prévaloir d'avoir son pays mieux que d'autres". Pour ma part, j'essaie d'adopter une attitude d'historien et je ne<br /> cherche pas à donner des bons points et des mauvais points. D'ailleurs, il ne sert à rien de juger des faits qui se sont passés il y a un siècle ou un siècle et demi. Par contre, il faut chercher<br /> à les mettre en lumière, à les présenter et à les expliquer, en regardant tout en face, sans rien omettre autant qu'on puisse le faire.<br /> <br /> <br /> <br />

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