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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Ouzellaguen 25-28 juin 1851 - Autopsie d'un grand combat - Le général Bosquet

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 30 Janvier 2013, 00:24am

Catégories : #Histoire des Ouzellaguen

 

 

b) Le général Bosquet

Pierre-Joseph-François Bosquet[1] naît le 8 novembre 1810, à Mont-de-Marsan, entre à Polytechnique en 1829, puis à l'Ecole d'application de Metz, dans l'artillerie.

Le 5 avril 1833, il est sous-lieutenant au 10e régiment d'artillerie, lieutenant le 1er janvier 1834, il s'embarque en juillet pour l'Algérie. En peu de temps, il se fait remarquer à l'occasion d'une sortie effectuée par la garnison de Bougie. Malgré plusieurs citations et propositions de promotion pour faits remarqués, il n'est capitaine que le 27 août 1839.

Le général La Moricière le prend comme officier d'ordonnance, patronage et amitié qui lui ouvrent de grandes perspectives. Il se fait remarquer au combat de Sidi Lakhdar (janvier 1841), où il est blessé, ainsi qu'au combat de l'Oued Mellah (juillet 1841). En août 1841, il est chargé du commandement de l'infanterie attachée au bey de Mascara et de Mostaganem. Et le 5 juin 1842, il est promu chef de bataillon des tirailleurs indigènes d'Oran, le germe des futurs tirailleurs algériens. Son passage est désormais exécuté, il abandonne l'artillerie, qui n'est pas d'un grand avenir dans la guerre d'Afrique, pour l'infanterie. En cela, il suit l'exemple de La Moricière, qui lui en a fourni l'opportunité, et de quelques autres. Lieutenant-colonel le 20 octobre 1845, colonel le 8 novembre 1847, il est mis à la tête de la subdivision d'Orléansville, dans laquelle il travailla beaucoup à la répression de l'insurrection de l'Ouarsenis.

Il est fait général de brigade le 17 août 1848 et porté au commandement de la subdivision de Mostaganem. La nomination de Bosquet au généralat de brigade, à 39 ans et après seulement 9 mois de grade de colonel, a suscité des griefs. Depuis ce moment,

 

p 26

 

    Maréchal Bosquet - gravure de Roubaud

    Le maréchal Bosquet - Gravure de Roubaud

 

Bosquet

    Bosquet

     

Statue de Bosquet par Millet de Marcilly

     

Statue du maréchal Bosquet - Par le sculpteur Millet de Marcilly,

d'après un tableau d'Horace Vernet

 

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mêlé à d'autres faits, il a de chauds partisans comme d'authentiques détracteurs. Une carrière aussi rapide fait davantage penser à la période napoléonienne. La Moricière, ministre de la Guerre, répondit à une interpellation des députés sur ce point : "J'ai nommé Bosquet général, non pas seulement pour les services qu'il a rendus, mais encore pour ceux qu'il est appelé à rendre." Il met par là même occasion un homme de confiance en Algérie.

Au commandement de la subdivision de Mostaganem, il appuya beaucoup le démarrage des établissements coloniaux français. C'est, selon lui, le rôle de l'autorité militaire d'être une "nourrice" pour la colonisation, de favoriser sa naissance et de l'aider dans ses premiers pas fragiles, avant de lui laisser le champ libre pour qu’elle puisse voler de ses propres ailes.

S'il se veut avant tout un soldat irréprochable, il est aussi depuis toujours, dirait-on, un républicain intégral qui ne cache pas ses positions, furieux des atteintes qu'on faisait subir à la République, et qui dénonce la lenteur de l'administration des bureaux en Algérie, et d'une manière générale, le temps mort qui était donné à l'œuvre militaire en Algérie.

Bosquet arrive au commandement de la subdivision de Sétif au début du mois de juillet 1851. Il n'entend pas laisser de côté, aux dépens de la seule gloire des armes, l'œuvre administrative qui fait les grands généraux d'Afrique. Il est assez satisfait du rôle prometteur qu'on attend de lui à la tête de la subdivision de Sétif, dans laquelle, à l'écouter, tout est à faire tant au point de vue des armes qu'à celui de l'organisation territoriale. Une de ses grandes réalisations est la route, longue de 30 lieues, qui relie Sétif à Bougie. Il déclamait : "J'y ai trouvé la guerre, j'y laisserai la paix et l'abondance".

Deux émissaires importants des tolbas de Sidi ou Dris, chez les Illoula Amalou, une des têtes de la résistance kabyle et ennemis déclarés de Ben Ali Chérif, accompagnés du caïd Ben Djeddou, allié et parent de Ben Ali Chérif, avec des lettres d’introduction de ce dernier, se présentèrent à Sétif, au général Bosquet. Bosquet, qui aime parler du « très féroce kabyle » dont personne ne peut « dérider son front », ne peut cacher sa joie, lui qui désespérait, depuis les six ou sept mois de son arrivée à Sétif « d’attaquer le taureau par les cornes chez les Zouaouas ». Avec les tolbas de Sidi ou Dris, il peut songer, par cette première pierre, au démantèlement de la puissante forteresse kabyle du Djurdjura. Voici un extrait d’une lettre de Bosquet, intéressant ses traits de caractère et sa perception de l’élément kabyle

« C’étaient deux montagnards très distingués, dont les physionomies respiraient l’énergie, le courage, la résolution ; l’un m’a rappelé le type basque.

Je les ai gardés trois heures, eux parlant leur langue kabyle, moi l’arabe ; un savant kabyle nous servait d’interprète. Ce fut

 

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une entrevue très intéressante, et pour moi et pour tous ceux des officiers qui écoutaient, pouvant comprendre un peu de l'arabe que je parlais et qu'on me rendait. J'ai été fort satisfait de tout ce que ces montagnards ont dit et promis ; je leur ai longuement parlé de l'état présent des affaires, de la puissance de la France, de leur avenir, et nous nous sommes quittés très bons amis. En serrant la main que le "Basque" me tendait : — C'est la main d'un montagnard comme toi que je te donne ; je suis un Kabyle de l'Ouest de la France ; cette main va toujours droit au cœur de l'ami ou de l'ennemi ; la main ouverte, l'épée nue, et parole sans retour ; souviens-toi de nos adieux." Il m'a serré la main et m'a répondu : "C'est aussi notre devise ; le mensonge n'est pas connu dans nos montagnes parce que nous n'y gardons que des braves."[2] Bosquet qui croyait tenir enfin sa victoire ne vit plus revenir les tolbas, les deux émissaires influents eurent leurs maisons détruites, car l'insurrection, dirigée par Bou Baghla avec ces mêmes tolbas, vint perturber ses plans.

Bosquet est partisan de la conservation des chefs indigènes, qui doivent souder les populations à la domination française, ainsi en est-il vis-à-vis du vieux khalifa Mokrani ou de Ben Ali Chérif. Il mettait de la prévenance à leur égard, s'efforçant de ne pas trop les froisser dans leur position.

Bosquet, mécontent de ne pas voir se réaliser la grande campagne contre les Ighawawen, se calme un peu puisqu'on lui fait prendre part, à la tête d'une petite colonne, sous la direction du général Saint-Arnaud, aux opérations très dures qui devaient débloquer Djidjelli et l'est de Bougie. Bosquet se signala au cours de cette campagne, et fut blessé le 11 mai 1851 dans une attaque contre le col de Menayel. L'insurrection de Bou Baghla, qui espérait aussi aller se battre en Petite Kabyle avec des troupes de Grande Kabylie, contraignit Bosquet à revenir dans sa subdivision avec des troupes enlevées à Saint-Arnaud pour aller rejoindre la colonne en formation du général Camou et opérer dans l'Oued Sahel.

Voici le portrait que faisait de Bosquet, à 42 ans, en 1852, un an après les opérations de l'Oued Sahel, un officier qui le connaissait bien, le futur général Balland qui se trouve au titre de capitaine d'Etat-major dans la colonne Camou-Bosquet :

"Il était dans la force de l'âge mur ; d'une taille au-dessus de la moyenne, sans que cela parût, tant la carrure des épaules et toute la charpente osseuse étaient développées ; il avait une

 

p 29

 

force musculaire à terrasser un taureau[3], le front haut et large, la moustache, les cheveux noirs et fournis, un regard d'aigle passionné, le teint bronzé, les appétits violents, la parole entraînante, imagée, une intelligence de premier ordre, une ambition sans bornes."[4]

Bosquet est orgueilleux, d'un orgueil qui lui vient de la montagne béarnaise et de sa situation d'orphelin, confronté au besoin très tôt de démontrer, prouver, réussir et, suppléant l'absence d'un père, de prendre soin de sa mère superstitieuse, qui croit sa famille accablée par le destin. Il prend conscience précocement de l'obligation de combattre jusqu'à triompher de cette fatalité. Et la carrière brillante de Bosquet est comme la promesse d'un temps nouveau, et sa mère vit au rythme des succès de son fils, sans que toute la crainte ne disparaisse pour autant.[5]

Bosquet reste partisan d'une guerre sans concession, car l'Arabe et le Kabyle, selon lui, ne connaissent que la loi de la force et celle de leur triomphateur, l'heure n'est pas encore arrivée de les essayer à l'assimilation, comme il le fait savoir, le 8 avril 1850, dans une lettre à La Moricière :

"Si l'Assemblée adopte le principe de la prépondérance civile, c'est du temps et des millions de perdus, et il faudra recommencer. Au reste, depuis deux ans, nous perdons deux jours sur trois dans la marche des faits à accomplir, et nous laissons se réchauffer les espérances du vaincu. Un gouverneur, dans les conditions présentes, n'offre pas solution satisfaisante : il lui manque de l'initiative bien reconnue et du commandement ; il lui manque un crédit, sans lequel les forces et les intelligences dorment autour de lui.

[...]

J'ai l'oreille placée contre la tente arabe et j'entends les longues conversations à demi-voix : l'Arabe comprend très bien l'abandon et le doute dans lequel on le laisse ; lui donner confiance en restant fort, c'était amortir la haine du Musulman vaincu et la réduire à l'impuissance ; c'était gagner du temps et la partie. Mais l'Arabe n'aura confiance que dans celui qu'il a appris à connaître dans les rudes moments, il n'aura peur et ne sera faible que devant celui qui l'a terrassé. Or, il y a encore

 

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beaucoup d'Arabes en Algérie, et voilà pourquoi je n'ai pas confiance que les Arabes acceptent paisiblement le nouveau régime en projet. [...] Je prendrais volontiers le rythme d'un prophète de malheur".

On s'intéresse à Bosquet, ainsi dans le courant du mois de mai 1851 : "un aide de camp du Président, un autre du ministre, le général commandant la province, enfin le gouverneur [...], tous me sont venus annoncer que, prochainement, on me donnerait le commandement de la province de Constantine. C'est le commandement d'une division en même temps."[6] En effet, les tractations vont bon train en prévision du prochain coup d'État. Bosquet, assez surpris et peut-être pas complètement au fait de ce qui se trame, ne sait pas trop à quoi s'en tenir. Mais, à terme, l'affaire tourne d'une autre façon, précisément pendant que Bosquet est pris dans la campagne de l'Oued Sahel, et il sent de plus en plus qu'on le met sur la touche. Et il fait la campagne en ayant sa tête ailleurs, lui qui déjà pensait que les opérations à venir seraient plus courtes et qui avait prévu de passer l'été en France, à Paris.



[1] On connaît mieux Bosquet, qui a laissé une abondante correspondance, que Camou. De plus, on retient davantage de Bosquet le brillant général de la guerre de Crimée, qui s'est illustré aux combats de l'Alma et d'Inkermann, atteignant le sommet de sa gloire. Cette seconde partie de sa carrière laisse un peu dans l'ombre son action et son passage dans la division d'Oran et la subdivision de Sétif.

[2] Bosquet, Lettres du maréchal Bosquet à sa mère, lettre datée du 12 mars 1851, p. 212.

[3] C'est pour cette raison qu'il fulminait de ne pas voir se réaliser la campagne de Grande Kabylie qu'on lui refusait.

[4] Cité dans les Lettres du Maréchal Bosquet à ses amis, 1837-1860, L. Ribaut, 1879, vol. 2, p. II.

[5] D’ailleurs, Bosquet vient, en 1850, de perdre son frère qui était juge de paix à Cayenne.

[6] Bosquet, Lettres du maréchal Bosquet à sa mère, p. 224.

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