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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Historiographie du mouvement chérifien algérien 7-14

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 24 Novembre 2013, 22:55pm

Catégories : #Histoire du mouvement chérifien algérien 1845-1854

C’est qu’en effet une autre perspective, davantage détachée du politique, prend corps au tournant du siècle. Les travaux de René Basset, Doutté[1], Desparmet et Dermenghem échappent à l’inflexion enclenchée par Rinn, continuée par Depont et Coppolani. Le tournant est bien perçu par Goldziher : « Les dix dernières années ont été fécondes en travaux qui permettent d’apprécier plus exactement le culte des saints locaux dans l’Afrique du Nord. De pareilles recherches contribuent plus à la connaissance de l’Islam actuel que l’étude de la dogmatique des Écoles. »[2] Ils portent davantage sur les liaisons islam-société et religion-société, dans leurs formes « populaires » (culte des saints, évocation des 'ulâma, pratiques magiques...) que sur leurs implications politiques éventuelles. Ces dernières ne semblent plus d’actualité. Les développements de l’anthropologie donnent à cette perspective une consistance plus grande, avec des résultats décisifs.

 

Augustin Berque développe des conceptions manichéennes, hostiles à la ruralité et à l'islam : « Or, qu'avons-nous trouvé en 1830 ? Une société essentiellement rurale. Et cela, parce que, entre l'Afrique et nous, s'était interposé l'Islam. L'Islam n'a, en effet, organisé dans le Maghreb qu'un écroulement successif de cités. » Il ajoute : « Esprit rural, donc individualisme outrancier, insoumission à l'intérêt collectif, exaspération des réflexes de lutte. »[3]L’islam est le destructeur des villes et de la civilisation urbaine : c’est l’essence même de la conquête hilalienne, arabe et musulmane. C’est une amplification de la conception khaldûnienne. Il voit la société algérienne rencontrée par la conquête française comme une « société arriérée »[4] et partant vouée à la disparition. En fait, c’est une vision d’administrateur. Sorte d’invariant en place depuis longtemps dans l’esprit de nombreux Français ayant rapport avec l’Algérie, l’islam est le grand obstacle qui empêche le déploiement de la société française et de la civilisation européenne.

 

Les montagnards et les Berbères sont souvent tenus pour de tièdes musulmans. La conception imprègne les travaux d’historiens de renom. Xavier Yacono voit un recul des motivations religieuses si ce n'est une sorte de dé-islamisation des Algériens au milieu du XIXème siècle dans la vallée du Chélif.[5] Charles-André Julien néglige la question religieuse dans son histoire de l’Algérie, en dépit de sa culture protestante, à moins que celle-ci ne la lui fasse voir dans une perspective radicale et dépouillée. Le choix politique et idéologique a ici des répercussions dans un domaine scientifique, où le religieux devient une catégorie du politique. Il écrit d’ailleurs, de manière étonnante, reproduisant le stéréotype ancien signalé plus haut, que les populations montagnardes ne sont pas les plus religieuses.[6]L’élément religieux n’est pas le caractère dominant de la résistance menée à partir de 1845 par des hommes comme Bû Ma’za : « Il utilisa le levain de la foi pour faire lever la pâte populaire », déjà préparée par « l'esprit de révolte » et « la crise économique ».[7] Le patriotisme est plus fort que la motivation religieuse : « Les ennemis qu'il proposait de jeter à la mer étaient certes des infidèles mais plus encore des maîtres étrangers. »[8]

 

Le fanatisme, prenant toujours naissance dans la religion, est l’explication communément mise en avant. Marcel Émerit s’engouffre dans cette perspective, évoquant Bû Ma’za et les « nombreux chérifs » de 1845 : « Leur fanatisme est poussé aux dernières limites et fait contraste avec le sentiment religieux de l’émir, toujours atténué par les besoins de la politique et la méfiance à l’égard de ces prophètes, agitateurs d’une force religieuse, qui s’adressent à des éléments démocratiques, surtout à la masse berbère. »[9] Peu après, la guerre d’Algérie ayant éclaté depuis, il s’en éloigne et en nuance la thèse sans la remettre en cause. Elle devient un facteur dans une série causale[10] : « On invoque aussi le fanatisme musulman, mais sans le définir et sans essayer de comprendre son évolution. Or les documents que nous avons publiés jusqu’ici montrent qu’il fut assez faible en 1830, plus ardent en 1839, d’une vigueur farouche au moment de la grande insurrection de 1845, très atténué en 1848. Et quelle différence entre l’esprit d’un rusé marabout comme Abd-el-Kader et l’impétuosité sans nuances d’un Bou Maza et des autres mahdis qui ont soulevé les montagnes après le premier refoulement de l’émir en territoire marocain ! »[11] Il suffit de remarquer que la courbe proposée par l’auteur suit en réalité celle de la résistance à la conquête française. Pour Roger Germain, près de ses sources et élève d’Émerit, ce sont des « marabouts fanatiques » qui dirigent le mouvement de 1845 : « L'esprit du mouvement, comme l'origine, resta religieux : on combattit plutôt pour exterminer le Chrétien que pour rétablir un régime politique disparu. »[12]

 

Les aspects religieux de l’islam algérien au XIXème sont rarement étudiés. Michel Chodkiewicz le remarque à propos des travaux consacrés à ‘Abd al-Qâdir, y compris pour les meilleurs, dus à Paul Azan, Charles-André Julien et Raphael Danziger : « La plupart de ces travaux, toutefois, ne concernent  que les activités militaires et politiques d'Abd el-Kader. »[13] Jacques Berque rencontre de nombreuses fois la question de l’islam.[14] Les études se réduisent généralement à quelques éléments de l’islam, particulièrement aux confréries.[15] Des ethnologues, comme Jacques Vignet-Zunz et Habib Tengour et des anthropologues comme Sossie Andezian et Ahmed Ben Naoum s'intéressent aux manifestations de l'islam local contemporain.[16] Le sociologue Kamel Chachoua étudie l’islam kabyle, à partir de la figure d’Ibnou Zakri. Tassadit Yacine s’intéresse aux résonances politiques, sociales et culturelles de la poésie.[17]

 

Quelques historiens, encore peu nombreux, se penchent sur le rôle de l’islam face à la conquête française. C’est le cas d’Annie Rey-Goldzeiguer.[18]Peter von Sivers met en relief le rôle des chefs religieux dans la résistance.[19]Fanny Colonna analyse la place du religieux, notamment dans l’Aurès.[20]Cependant, c’est un aliment qui manque dans certaines vues d’ensemble. D’entrée, Knut S. Vikør voit deux facteurs pour le Soudan, la Somalie et le Maghreb : l’intervention croissante de l’Occident et le développement du réformisme musulman.[21]Ainsi, les résistances, liées à l’islam ou non, en réalité deuxième facteur fondamental, n’ont pas la place qui leur revient.[22]

 

L’islam algérien a connu un refoulement profond avec l’historiographie coloniale et nationale, en même temps que la société algérienne est vouée à l’oubli. On n'y a vu pour l'essentiel qu'ignorance, dogmatisme et surtout fanatisme. Le fanatisme, la peur de l'islam et la paranoïa du dominateur ont vicié bien des études. Nombre d’historiens ont répercuté, à leur manière, ces considérations, avec leurs "peurs islamiques". Les insistances, quand elles ont pu se faire, n'y ont vu que la dimension politique de l'islam, partant son caractère anti-français et antichrétien, dépouillé de sa dimension proprement religieuse, spirituelle, avec ses crises, ses efforts d'adaptation, de rénovation et de combat. De la sorte, l'histoire de l’intellectualité, de la spiritualité et de la piété en islam algérien au XIXème siècle n'est pas encore faite et les liens de celle-ci avec sa dimension politique ont été du même coup insuffisamment ou mal mis en lumière.

 

Il reste que les accusations, politiques et culturelles, portées contre l’islam sont avant tout des constructions de combat, à caractère politique, idéologique et culturel. Mais, elles ne sont pas pour autant entièrement dénuées de fondement. La perception de l’islam se cristallise en particulier dans les figures religieuses individuelles et les confréries.

 

II. LES FIGURES INDIVIDUELLES : MARABOUTS, CHERIFS ET MAHDIS

 

L’historiographie coloniale met en exergue et fustige trois types d’acteurs : les marabouts, les chérifs et les mahdis.[23]

© Abdel-Aziz Sadki

version du 08-01-2013

mise en ligne le 25-11-2013


[1] (…)

[2] (…)

[3] (…)

[4] (…)

[5] (…)

[6] « les populations montagnardes, qui ne sont pas les plus religieuses mais les plus farouchement attachées à leur sol natal », Charles-André Julien (…).

[7] (…)

[8] (…)

[9] (…)

[10] Les deux autres sont la personnalité de l’émir et l’importance des approvisionnements en armes.

[11] Marcel Émerit, (…). Il est bon de remarquer que ‘Abd al-Qâdir est un « rusé marabout » et que Bû Ma’za et autres mahdis relèvent de l’« impétuosité sans nuances ».

[12] (…)

[13] (…)

[14] Voir par exemple : Jacques Berque, (…).

[15] (…)

[16] (…)

[17] (…)

[18] (…)

[19] (...) « Peter von Sivers a souligné, beaucoup plus précisément encore que les historiens coloniaux, le rôle prépondérant de quelques leaders religieux (en 1859 et en 1879) et de l’argumentation religieuse dans la mobilisation des tribus. », Fanny Colonna, (…).

[20] (…)

[21] (…)

[22] Même si l’auteur les expose par la suite.

[23] (…)

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