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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Historiographie du mouvement chérifien algérien 8-14

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 24 Novembre 2013, 22:53pm

Catégories : #Histoire du mouvement chérifien algérien 1845-1854

1. Les marabouts et le maraboutisme

 

Le marabout devient un topos de l’historiographie coloniale sur le Maghreb. Les auteurs le croisent fréquemment dans le paysage, le citent souvent et en font un objet de description. Il apparaît comme un trait spécifique de la société maghrébine.

 

Henri Aucapitaine (1832-1867) popularise la figure du marabout. Mais, ses publications ont un caractère scientifique limité, contrairement à la réputation flatteuse dont il bénéficie de son vivant.[1]Membre des tirailleurs indigènes en Algérie[2], écrivain ou publiciste, il se pique d’avoir une spécialité sur les questions de l’Algérie. La distinction n’est pas claire chez lui entre les marabouts, les chérifs et les khouans. Les marabouts sont l’âme de l’opposition à la France : « Les marabouts, hostiles aux étrangers par leurs principes religieux, et qui redoutaient d'autant plus l'influence française, qu'elle anéantissait naturellement la leur, déterminèrent presque partout le mouvement en excitant l'amour-propre excessif de ces montagnards et leur passion ardente pour la guerre. »[3] Ce sont eux qui déterminent et encadrent l’action de Bû Baghlâ, le cas échéant jusqu’à s’y opposer. Il distingue des catégories sociales : les marabouts et les Kabyles, les premiers étant désignés comme les « ennemis de classe », les Kabyles, c’est-à-dire le peuple, jouissant d’une certaine sympathie, car, selon lui, ils ne sont pas hostiles par principe aux Français. C’est, sous-jacente, l’idée de l’infantilité du peuple, à la fois versatile et innocent, influençable et irresponsable. L’opposition de classe est une idée issue de la Révolution française. Les vrais adversaires sont les marabouts. Dans d’autres « études », il s’efforce de démontrer l’étrangeté géographique et sociale des marabouts par rapport à l’espace kabyle et même à l’espace maghrébin.[4] La théorie d’un maraboutisme allogène connaît une fortune durable. Mais, à l’entendre, les intérêts sociaux catégoriels seuls commandent les aspirations religieuses.

 

Les marabouts sont comptés au nombre des principaux responsables de l’insurrection de 1871. Ils entretiennent la haine des Arabes pour les Français. Militaires et colons sont nombreux à le penser : « Les marabouts leur ont prêché la guerre sainte, leur affirmant qu’il n’y avait plus de Français et qu’ils viendraient facilement à bout des quelques moucherons d’El-Milia. »[5]C’est encore une fois les marabouts qui attisent les tribus des environs racontent les colons survivants du « massacre » de Palestro : les tribus sont « surexcitées par les prédications des marabouts ».[6]

 

Trumelet considère lui aussi que les marabouts se sont placés fréquemment à la tête des mouvements de résistance à la conquête française : « Plus d’une fois aussi, depuis la conquête, les marabouts nous suscitèrent de sérieux embarras, et sans parler de l’émir Abd-el-Kader et de ses lieutenants, qui, pour la plupart, étaient marabouts, il n’est guère de levées de boucliers soit dans les kabylies, soit dans le Sahra, qui n’aient eu des marabouts pour instigateurs ou pour chefs. »[7]Mais, il a pour originalité d’être le premier à ne pas se cantonner dans l’analyse classique du maraboutisme et à le rattacher à la sainteté, selon un cheminement intrinsèque, qui n’est pas nécessairement lié au politique.[8] Son approche est flagrante quand il rend compte des deux seuls cas contemporains retenus : Sî Mûsâ et Sî Muhammad ben Bû Rak’â, qui vont néanmoins prendre place au cœur de l’histoire du mouvement chérifien. C’est dans cette perspective que se placent ensuite Doutté, Goldziher et Dermenghem, par exemple.

 

Avec Louis Rinn, le marabout fait son entrée comme une des matières principales d’un ouvrage consistant, mentionnée dès le titre.[9]

 

L’opinion majoritaire, commode et facile fait des principaux chefs de résistance algériens des marabouts. Elle se généralise dans la première moitié du XXème siècle jusqu’à Charles-André Julien au moins. Les colonies françaises illustrées publiées par les Frères des écoles chrétiennes à destination de l’enseignement en sont un bon indice : ‘Abd al-Qâdir, le plus grand adversaire des Français, est un « fils de marabout influent », un talib et un soldat[10], de même que Bû Ma’za[11] et Bû ‘Amâma, « encore un marabout ».[12]

 

Le marabout insurgé et anti-français reflète, pour ses détracteurs, une conception dévoyée du maraboutisme. Ernest Mercier, interprète judiciaire et président de la société archéologique de Constantine regarde l’usage du maraboutisme à des fins d’ambition politique comme une perversion. Il n’y a alors rien du maraboutisme authentique, détaché des choses terrestres et absorbé par la foi, obéissant ainsi à des motivations religieuses. De tels hommes sont « devenus des suppôts du démon, ils ont quitté le sentier du maraboutisme et perdu le droit de s'appeler marabouts. »[13] La religion n’a le droit d’exister qu’exclue du champ politique.

 

Les marabouts ont une place reconnue, ainsi que l’écrivent Charles-André Julien et Roger Le Tourneau : « On ne saurait passer sous silence le prestige des individus réputés détenteurs de la baraka, cette faveur divine qui s’étend au temporel aussi bien qu’au spirituel. Détenteurs de la baraka sont ceux que nous appelons communément les marabouts, mais que l’on désigne plus communément sous le vocable de wali (ami [de Dieu]). Entourés de leurs proches et de leurs disciples, ils communiquent à l’un d’eux la baraka et c’est lui qui, après eux, continue à enseigner et à faire des miracles. Leur zone d’influence est en général très limitée, mais ils peuvent exercer un certain rayonnement en cas de troubles et d’anarchie : les marabouts de Dila ont bien failli s’arroger le pouvoir dans le Maroc tout entier au milieu du XVIIe siècle. »[14]

 

Les débuts de Muhammad ben ‘Abd al-Lâh sont pour Gabriel Esquer ceux d’un « marabout »[15], d’un tâ’lib et d’un homme de zâwiyya.[16]Xavier Yacono traite succinctement de la période dans sa thèse sur La colonisation des plaines du Chélif. Deux chefs politiques, Sî Mûsâ et Bû Ma’za sont qualifiés de marabouts, mais pas Sî al-‘Azrâg. Il contracte en deux pages les deux insurrections de 1845 et de 1865[17] et parle au passage de Bû Ma’za[18] : « Au printemps 1845 commencèrent des opérations beaucoup plus importantes. A l’appel d’un jeune marabout, Mohammed ben Abdallah, dit Bou Maza, l’homme à la chèvre, le Dahra se souleva. »[19]« Il était accompagné d’une chèvre qui lui transmettait, prétendait-il, les ordres de Dieu. »[20] Sa reddition, son appréciation par Bugeaud et son envoi et sa réception en France sont relatés en quelques mots à la fin.[21]Charles-André Julien présente Bû Ma’za à ses débuts comme un « jeune marabout de vingt ans ».[22] Quant à l’insurrection de Zaâtcha, « comme toujours, ce fut un marabout, Bou Zian, qui donna à ce mécontement une forme religieuse. »[23] Bû Ma’za continue d’être qualifié parfois de marabout.[24]

 

‘Abd al-Qâdir est presque invariablement désigné comme marabout, ce qui a son importance politique.[25] Dans son cas, le terme devient entendu et est rarement étayé par une analyse sérieuse. ‘Abd al-Qâdir incarne le type idéal du marabout chef de résistance et souverain.

 

L’aspect clérical est un des critères d’analyse d’Alain Mahé. Les marabouts et le maraboutisme sont ce qui l’intéresse le plus, selon une problématique classique. Après avoir entraperçu Bû Baghlâ, il présente le conflit qui oppose les marabouts ralliés aux Français à ceux qui dirigent l’insurrection. Il n’évoque nullement les liens de ceux-ci et de la Rahmâniyyah avec Bû Baghlâ. La partie la plus intéressante vient après : Alain Mahé a raison d’évoquer le rôle du marabout Sî Ku’îdar at-Titrâwî et de son fils. Il a cependant trop tendance, selon nous, à cléricaliser le sens des conflits.[26]

 

Les études sur la sainteté et le maraboutisme connaissent aujourd’hui un développement considérable.[27]

 

2. Les chérifs et le chérifisme

 

Le chérif est une figure singulière dans la confrontation entre Algériens et Français. L’histoire des chérifs n’est pas escamotée, mais est rarement devenue un objet central d’étude. L’historiographie nie cependant l’existence d’un chérifisme algérien pour le XIXème siècle. Dans un premier temps, il convient de distinguer les chérifs algériens qui ont fait face à la conquête française et les chérifs qui forment une catégorie sociale, en tant que noblesse religieuse.

 

L’histoire des chérifs algériens qui ont fait face à la conquête française connaît un premier développement dans les années 1860.[28]Les années 1859-1861 en particulier sont un tournant en la matière, auquel contribue le baron Henri Aucapitaine.[29]Celui-ci n’a pas eu à combattre le chérif Bû Baghlâ, puisqu’il arrive en Algérie peu après la mort de ce dernier. Il réalise le premier travail qui porte dès le titre sur le chérif Bû Baghlâ[30] et qu’il reprend dans son ouvrage sur Les Kabyles et la colonisation de l'Algérie en 1864.[31] Aucapitaine ne connaît pas l'origine du chérif et livre quelques données sur son acclimatation chez les Kabyles. Il puise une partie de son information chez Louis de Baudicour, Devaux, ancien chef du bureau arabe des Beni Mansour, Féraud, Daumas, de Neveu et Brosselard. Aucapitaine représente une opinion qui voue un dédain profond aux chérifs. Comme bon nombre d'auteurs, il se perd dans le dédale des chérifs et des Muhammad ben 'Abd al-Lâh. Mais, tirant la couverture à lui sans autre forme de procès et à l’instar de beaucoup d’autres, il considère Bû Baghlâ comme bien plus important que Bû Ma’za[32], « si naïvement exalté en France par tant de gens ».[33]

 

J.-P.-L. Bérard traite en 1864 de l’histoire de Bû Ma’za et de la ville de Ténès dans Les deux villes de Tenez et Bou-Maza.[34]L’ouvrage, pourtant intéressant, ne semble pas avoir été beaucoup lu, y compris par les historiens.

 

Vayssettes voit dans les chérifs des « intrigants », des « ambitieux », des « imposteurs », donc de faux chérifs, mais qui ont une forte influence sur les « masses » et suscitent une résistance périlleuse pour la conquête française : « On sait que le titre de chérif, qui, en arabe, veut dire noble, appartient exclusivement aux descendants du Prophète par Fatima, sa fille, et constitue la seule noblesse reconnue chez les musulmans. C’est aussi le titre que revêtent les intrigants et les imposteurs, qui veulent exploiter à leur profit les passions turbulentes et ambitieuses des masses, toujours prêtes à prendre les armes au nom du Prophète. Les Bou-Maza, les Bou-Barla et tant d’autres qui, depuis 1830, ont mis plus d’une fois notre conquête en péril, n’étaient pas autres que des ambitieux transformés en chérifs. »[35]En 1870, Louis Guin, interprète à Aumale, regarde avec peu d’aménité et dénie toute importance à Bû Baghlâ, qui est présenté comme un « derwich qui avait joué le rôle de chérif dans les Beni Abbas et Beni Mellikeuch, et qui, à l’aide d’une quantité de mauvais sujets de tous les pays, était parvenu à se faire un parti. »[36]

 

 

 

© Abdel-Aziz Sadki

version du 08-01-2013

mise en ligne le 25-11-2013



[1] Le recours aux témoignages oraux, notamment sur les tribus et l’histoire de la Kabylie, est ce qu’il y a de plus précieux dans ses publications.

[2] En 1859, il est sergent des tirailleurs algériens, en garnison à Blida. Depuis 1857, il s’occupe, écrit-il le 27 juillet 1859, « dans tous mes instants de loisir, en expédition ou en garnison, de rechercher les renseignements, traditions, etc. pouvant aider à reconstruire le passé des montagnards berbers. Y suis-je arrivé quant à l’ensemble ? Je n’ose l’espérer. J’avais compté pouvoir publier un livre sur l’histoire et les mœurs des Zouaoua. Ce livre est fait ; je le touche et le retouche ; mais j’attends forcément un changement de position. » (…). Il en adresse un chapitre, qui est publié sous le titre (…).

[3] (…)

[4] (…)

[5] (…)

[6] (…)

[7] (…)

[8] (…)

[9] (…)

[10] (…)

[11] (…)

[12] (…)

[13] (…)

[14] (…)

[15] (…)

[16] (…)

[17] (…). Pour les enfumades des Ouled Riah, il donne le chiffre le plus bas : 500 personnes.

[18] Il cite pour cela : (…).

[19] (…)

[20] (…)

[21] (…)

[22] (…)

[23] (…)

[24] (…)

[25] Voir l’origine de cette qualification, en troisième partie : dans les premières années de l’action de ‘Abd al-Qâdir, marabout est le vocable presque systématiquement utilisé à son propos. Les autres désignations, comme celle de chérif, sont rares. Par cumulation et essaimage historiographiques, il ne cessera d’être qualifié de marabout. Dans le long terme, cela induit une vision politique et historiographique qui place son action dans le cadre du maraboutisme et non dans celui du chérifisme. Seul, Rinn modifie cette conception.

[26] Par exemple entre les marabouts et Bû Baghlâ ou encore entre les clercs » des At ‘Abbâs et Bû Baghlà à ses débuts. L’histoire de Sî Qû’îdar at-Titrâwî et de son fils est à rattacher à un cadre plus large.

[27] (…)

[28] Pour la période fondatrice, voir la IIIe partie, p.

[29] Les contributions d’Adrien Berbrugger et de Laurent-Charles Féraud sont étudiées (…).

[30] (…)

[31] (…) Il consacre plusieurs études aux Kabyles. Il développe des critères ethniques sur la distinction entre Arabes et Kabyles ou Berbères, en la poussant à l’extrême, au point de repérer l’existence de « Kabyles purs » et d’opposer la « démocratie municipale » des Kabyles au caractère aristocratique (ou patriarcal) des Arabes.

[32] « Ce personnage devait jouer un grand rôle dans les affaires de l’Algérie, rôle qui fut, eu égard au pays et à l’époque, beaucoup plus important que celui de Bou-Maza dans l’Ouest. » (…).

[34] (…) Mais, nous réservons l’analyse de  cette question à la IIIe partie, infra p., car ses conceptions remontent en grande partie aux premières années de l’action de Bû Ma’za.

[35] (…)

[36] (…)

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A
Je t'encourage Aziz Sadki de faire des études approfondies et historiques scientifiques sur l'origine des Imravdhen ( marabout c'est une appellation française et de leur acolytes ).<br /> Ils croient que nous sommes arabes stupidement
Répondre
R
Vous êtes un marabout ca se voit en plus les marabout c est le cancer du maghreb C'est comme les juifs vous êtes des minables et des vendus
Répondre
A
Rachid t'es un âne.<br /> Amravedh c'est sidik. <br /> en plus pas de preuve qu'il est arabe.<br /> Il y a une chance je ne suis pas kabyle ' enfin génétiquement parlant mais tu es moins berbere que moi après ta religion je m'en tape.<br /> Amraveh a Rachid yuuuaer hader.<br /> Ils aiment pas la violence mais se sont des HOMMES.
A
1.. Vous ne connaissez rien à l'histoire, pas même à la vôtre. <br /> 2. Vendus : vous répétez les poncifs très faux de ceux qui ne connaissent rien à l'histoire. En plus vous reprenez ceux du colonisateur français et vous ne le savez même pas.<br /> 3. Il n'y a que de la haine, du ressentiment et de la jalousie. Aucune trace d'intelligence. <br /> 4. Vous êtes antisémite, ce qui confirme le troisième point.<br /> 5. Vous ne savez rien de ce que je pense réellement. <br /> 6. Vous n'êtes pas l'inventeur de vos propos.<br /> 7. Ce que vous dites porte un nom précis, bien connu : c'est du fascisme. <br /> 8. Pour le moment vous êtes un homme très dangereux.<br /> 9. Je vous souhaite de réussir sans passer par la haine d'autrui. Pour l'instant également, vous êtes très mal parti. Choisissez bien vos amis, vos maîtres (accoucheurs d'intelligence) et vos lectures. Vous êtes l'ennemi de vous mêmes.

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