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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Histoire du mouvement chérifien - Bû Baghlâ (Bou Baghla) 4-5

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 15 Janvier 2013, 15:05pm

Catégories : #Histoire du mouvement chérifien algérien 1845-1854

Un homme du tasawûf – Cheminement mystique et stratégies confrériques

 

Bû Baghlâ appartient aux milieux soufis, comme Mûlay Brâhim. C’est un lettré. Il est signalé dès le début comme un tâ’lib parce qu’il écrit des amulettes, puis parce qu’il est désigné comme graveur de cachets, enfin parce qu’il rédige la plus grande partie de sa correspondance politique et militaire en tant que chérif.[1]La rédaction d’amulettes et la gravure de cachets lui permettent de subsister et de dégager quelques ressources pour financer son mouvement. Puisqu’il ne réussit pas à soulever les At ‘Abbâs, il s’installe à demeure chez eux, en cherchant à fonder une école, chose qui lui est refusée par le khalîfa Al-Muqrânî.[2]Les attaches confrériques de Bû Baghlâ sont complexes à démêler. La plupart des auteurs en font un membre de la Darqâwiyyah. En 1864, Aucapitaine l'assimile aux Darqâwâ, une « corporation de fanatiques », pour être « vêtu des guenilles classiques des Derkaoui ».[3]Le chapelet qu'il porte autour du cou indique son appartenance à une confrérie, la grosseur des grains voudrait dire qu'il est effectivement darqâwî.[4]Pour Robin, il est « probablement de la secte des Derkaoua, mais nous n’en avons pas de preuve certaine ».[5]L’affiliation à la Darqâwiyyah retentit en septembre 1851. Le khûjja Isma’îl ben Muhammad consigne alors les dires qui circulent à son sujet à Alger et qui le désignent comme « le derkaoui Bou-Baghla ».[6]Affiliation confrérique réelle ou assignation politique, le khûjja est acquis à l’ancien ordre politique – et dans une certaine mesure, au nouvel ordre français – et aux conceptions ottomanes qui qualifient de « révolté », darqâwî, tout chef précisément de révolte. Comme pour Mûlay Brahîm, Robin remarque à juste titre que le prosélytisme confrérique n’est pas le moteur de son action : « ce qui est avéré, tout en se faisant le champion de la religion, il ne s’est pas occupé de propagande pour une secte religieuse ».[7]Il relève que « les khouan de Si Abd er Rahman bou Goberine affectèrent plutôt de s’écarter de lui, qu’ils ne s’empressèrent à le suivre. »[8]Là, il n’est pas possible de suivre le biographe du chérif car Bû Baghlâ reçoit un appui puissant de la Rahmâniyyah, dès le printemps 1851.[9]Le même auteur pointe avec raison d’autres motivations qui déterminent les mouvements des Kabyles.

Quelques années plus tôt, vers 1865, la Note historique sur l’ordre de Mouley-Tayeb lui donne une double affiliation, qâdirîe, puis tayyibîe : « Il appartenait également à la secte d'Abdelkader ben Djilali, mais après la bataille de la Sikak, il avait été recueilli par Mohamed ben Safi qui le garda quelques temps chez lui, puis l'envoya diriger la Médersa des Khouan de Mouley Tayeb installée au Chab-Ben-Dra des Beni Ouarsous ».[10] Nadir recense les affiliations confrériques qui font de Bû Baghlâ un bras de la Qâdiriyyah, en dépit de l'intermède Darqâwî qui le rattache à Sî Mûsâ. Le « cousin de l’Emir », assimilé à Bû Baghlâ, est au départ le chef des Qâdirîs de la région de Mascara.[11]Sî Mûsâ est « son ancien maître ». Bû Baghlâ en reprend plus tard le flambeau en Kabylie. Trois désignations confrériques se trouvent mêlées, qâdirîe, darqâwîe et tayyibîe.[12]On sait que Sî ‘Abd al-Qâdir, un cousin germain du sultan, est effectivement chef des Darqâwâ. Il passe alors pour un adversaire résolu, qui réclame la préséance pour l’accès au pouvoir et n’y renonce pas : « Brave, instruit, il a de l’influence sur les Hachems, dont certains marabouts prétendent avoir vu dans les livres saints qu’un jour, il doit abattre la puissance de l’Emir. Jamais il ne paraît à Mascara. »[13]

L’historiographe kabyle relate une rencontre capitale, qui le lie indiscutablement à la Darqâwiyyah : « Il fit un voyage incognito dans les contrées orientales, afin de rechercher les vrais croyants et les non croyants. Il arriva enfin chez le possesseur du souffle véridique et du drapeau autour duquel se groupent les amis de la justice, la merveille envoyée par Dieu sur cette terre, le flambeau des temps, l'homme le plus remarquable de son époque et le mieux élevé, Si El-Madani El-Mesrati. Notre sultan passa cinq mois chez El-Madani. Ce fut chez El-Madani que l'on prêta serment de fidélité à notre seigneur, qui obtint ce qu'il désirait en atteignant le faîte de la gloire. - Rendons-en grâces à Dieu ! »[14]D'ailleurs un des cachets de Bû Baghlâ porte le millésime H 1266 (1850), ce qui confirme la mission dont il est investi au cours de son voyage libyen. Et l’annaliste d’ajouter : « Notre sultan quitta Si El-Madani pour retourner chez les Zouaoua dans la ville d'El-Kelâa, de la tribu des Beni-Abbès. »[15]Sî Muhammad ben Hamza Zâfir al-Madanî n’est rien moins que le chef de la tarîqa qui porte son nom et forme une branche de la Darqâwiyyah-Shâdhiliyyah. Il est alors l’un des personnages les plus considérables du monde musulman.[16]Séjournant notamment cinq mois en Tripolitaine en 1850, Bû Baghlâ a le temps de préparer son action pour se hisser au premier plan. Cela fait écho au voyage à La Mecque dont parle la note du 3 juin 1851.

Si la question tarîqale n’est pas assurée, quatre points se dégagent. Bû Baghlâ recherche la compagnie et le patronage des grands maîtres. Il est concerné par l’évocation des liaisons avec la Tayyibiyyah par les chérifs en 1849, si ce n’est plus précocement. Une troisième chose est certaine : il est affilié à la Darqâwiyyah-Shâdhiliyyah, en particulier à la branche de la Madaniyyah, puisqu’il reçoit le patronage de Sî al-Madanî. Enfin, son surnom, Bû Baghlâ, « l’homme à la mule », se place dans la continuité de celui de Bû Hamâr, « l’homme à l’âne », qui caractérise Sî Mûsâ. Le principal lieutenant et le successeur de ce dernier, Sî Qû’îdar at-Titrâwî appuie fortement Bû Baghlâ dans toutes ses entreprises. Tout ce qui donne à Bû Baghlâ la haute main politique, sinon religieuse, sur les anciens partisans de Sî Mûsâ.

 

L'élévation de Bû Baghlâ en Kabylie obéit également à d’autres ressorts, restés cachés. Il a le souci de multiplier les recommandations les plus élevées pour asseoir son action. Fait déterminant, il obtient l’aval de Sî Muhammad ben Safî, le chérif des Flîtta, qui assure sa promotion en Kabylie. Le personnage n’est autre que son chef direct et un des hauts dirigeants du mouvement chérifien : « C'est lui qui a lancé Bou Baghla et Si Abdelkader ben Mohamed des Od Sidi Kada ben Mokhtar, de la famille d'Abd el Kader. »[17]Son acclimatation dans le pays est favorisée à distance par Sî Ahmad Tayyib ben Salâm, l'ancien khalîfa de 'Abd al-Qâdir qui a joué un rôle de premier plan dans l'histoire récente de la Mitidja, du Titteri et de la Kabylie. Chef d’un prestigieux lignage aussi bien que d’une zâwiyya réputée, il possède de fortes liaisons avec la Rahmâniyyah kabyle. Ben Salâm s’est allié à partir de septembre 1845 au chérif Mûlay Muhammad jusqu’à sa reddition et son exil en Orient. De là, il fait circuler secrètement des lettres en Kabylie pour recommander le nouveau chérif.

 

© Abdel-Aziz Sadki  

mis en ligne le 15 janvier 2013



[1]Aumale, 22.2.1851, colonel d’Aurelles, cité par Robin, op.cit., p. 28. Robin reprend l’information, p. 25 : « il se disait taleb ». Baudicour le représente comme « écrivant des lettres », op.cit., p. 468.

[2]Aumale, 22.2.1851, colonel d’Aurelles, cité par Robin, op.cit., p. 28.

[3] Aucapitaine, Les Kabyles et la colonisation de l'Algérie, Paris, Alger, Challamel et Bastide, 1864, p. 140.

[4]« Le gros chapelet est d'uniforme pour les Dercaoua », écrit le chef d'escadron Walsin-Esterhazy, qui est le premier à le constater, SHAT 1 H 100, Oran, 6.2.1845.

[5] Robin, op.cit., p. 35.

[6] Revue de l’Orient, de l’Algérie et des colonies, 1851, t. X, p. 254.

[7] Robin, op.cit., p. 35-36.

[8] Ibid., 1884, p. 36.

[9] Voir infra p.

[10] CAOM 10 H 38, Note historique sur l'ordre de Mouley-Tayeb, sd, p. 30.

[11] Nadir, op.cit., p. 853.

[12]« Il a appris ses leçons dans la zaouïa du Mokkadem de l’ordre de Mouley Tayeb. », Ferkous, op.cit., t. I, p. 253. Est-ce l’effet des annonces de 1849 en particulier ou d’un emprunt à Nadir ?

[13] Daumas, note jointe à la dépêche, Mascara, 13.4.1839, op.cit., p. 643. De Neveu l’évoque à plusieurs reprises dans sa brochure, Les Khouan. Ordres religieux chez les musulmans de l'Algérie, Paris, impr. Guyot, 2e éd., 1846, p. 154-155 et 187. Il s’appuie surtout sur Warnier et sur des informations disparates, parfois contradictoires, qui rendent sa présentation peu utilisable.

[14] Ibn Nûr ad-Dîn 'Abd an-Nûr al-Wasîfî, Histoire célèbre et hauts faits du très grand et très glorieux sultan notre Seigneur Mohamed Ben Abd-Allah Bou Seïf, H 1269 (1852-1853), dans Robin, « Histoire du chérif Bou Bar'la », Revue africaine, n° 28, 1884, p. 184 ou Histoire du chérif Bou Bar'la, Alger, A. Jourdan, 1884, p. 362.

[15] Ibid.

[16] Sur l’importance de Sî al-Madâni, que Robin n’a pu identifier, voir infra p.

[17] Propos de Sî al-Hâjj Muhammad ben Brâhim, CAOM 1 H 7, Miliana, 11.7.1851, lieut. Margueritte, cbac Teniet el-Had et le cap. d'EM adjoint, Lesieur, au col. Beauchamp, CSS Miliana, « Rapport des chefs des bureaux arabes de Milianah et Teniet el Had sur les chérifs de l'Algérie ». On verra plus tard que Sî al-Hâjj Muhammad ben Brâhim déclare publiquement dans la Mitidja, en mars 1851 – ce qui est très tôt et prouve qu’il est manifestement bien informé – qu’un de ses « fils », c’est-à-dire Bû Baghlâ, se trouve alors à la tête de l’insurrection kabyle.

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