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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Ouzellaguen 25-28 juin 1851 - Autopsie d'un grand combat - Les dispositions d'attaque et de défense des protagonistes

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 12 Février 2013, 14:48pm

Catégories : #Histoire des Ouzellaguen

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Avant de décrire et de spécifier les phases de la bataille, il est nécessaire de passer en revue les dispositions tactiques, offensives ou défensives, prises par les deux adversaires. La bataille s'est-elle développée selon les plans prévus pour chacun d’eux ? Chaque combat ou, plus largement, chaque fait militaire, comme la destruction d'un village, se doit d'être situé dans le temps et l'espace et d’être apprécié en indiquant l'importance des forces engagées, tout en suivant le fil naturel tissé par la succession chronologique de ces péripéties.

Trois moments principaux s’individualisent d’eux-mêmes, la première journée, le 25 juin, et la seconde, le 28, de part et d’autre de deux journées qui ne manquent pas d’intérêt qui posent la question de savoir pourquoi est-on amené à livrer un deuxième combat. En quoi ces deux journées se ressemblent-elles ? En quoi elles diffèrent ?

 

A) 25 JUIN, ACTE PREMIER

 

1) Les dispositions d'attaque et de défense des protagonistes

 

Les dispositions tactiques des deux adversaires ne se ressemblent pas. Elles illustrent pour l'un l'attaque et l'initiative, pour l'autre la défense et la réaction.

 

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a) La tactique offensive des troupes françaises

A 8 heures du matin, 3 heures 1/2 après le départ d'Haïnou, l'avant-garde de la colonne débouche dans la plaine d'Azib ou Safsaf[1], aperçoit alors, couronnant la crête étroite d'Ighil N'Tara, le chérif Bou Baghla avec son goum formé d'une cinquantaine de cavaliers ainsi qu'une masse de 500 fantassins environ. La totalité de la colonne n'opère son regroupement qu'à 11 heures 30, prenant la décision de bivouaquer "sur la rive gauche de la Summam, dans le pays des Ouzellaguen, au pied de leur âpre montagne : le chérif et les contingents sont à 1500 m d'Azib ou Safsaf, groupés près du village d'Iril N'Tara. Le camp est tracé et l'on fait faire le café aux troupes." Le campement est jugé de très bonne qualité, par sa situation en plaine, suffisamment découverte pour interdire toute attaque dérobée et surprise des Kabyles, par ses abondants fourrages, les eaux à la fois de l'Ighzer Amokrane, de la Soummam et de quelques sources. Il convient parfaitement à l'implantation de plusieurs jours d'une colonne de 5500 hommes.

L'état-major a disposé de 4 heures pour étudier l'assiette du pays, définir et préparer la tactique à appliquer. La formule choisie est toute classique, sans surprise, une sorte de tactique du "crabe". Camou l'a employée à plusieurs reprises au cours des opérations, le colonel d'Aurelle, chef de la subdivision d'Aumale, ayant fait de même avec moins de troupes au début du mois d'avril contre les contingents kabyles en position dans le village de Selloum, à quelques kilomètres de distance du camp des At Mansour, occupé par le lieutenant Beauprête. La colonne est divisée en trois petites colonnes pour envelopper l'ensemble du territoire des Ouzellaguen. La progression rapide et le mouvement de concentration des deux colonnes latérales doivent permettre de prendre en étau les contingents kabyles et de les rabattre sur la colonne du centre qui se charge alors, par une attaque de front, de les épuiser et de les user.

La colonne principale, formée des trois bataillons du 8e de ligne (1460 hommes) avec 2 obusiers de montagne et près d'une centaine d'homme de l'artillerie, est dirigée par le colonel Jamin. Elle est aussi directement placée sous les ordres du général commandant la colonne, Camou lui-même. La colonne de droite formée du 8e léger et des tirailleurs (1919 hommes) est placée sous les ordres du

 

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colonel de Cambray.

La colonne de gauche, formée du bataillon de zouaves et du bataillon du 22e léger (1400 hommes), est, quant à elle, aux ordres du lieutenant-colonel Le Rouxeau. Elle est, à l'extrême gauche, épaulée par la cavalerie régulière et le goum, près de 250 chevaux, dont 149 pour la cavalerie régulière. En effet, la cavalerie, le goum et la colonne de gauche doivent œuvrer de concert, s'appuyer mutuellement. La cavalerie est dirigée par le capitaine Charrabas et le goum de Bougie par le capitaine Augeraud, chef du bureau arabe de Sétif.

L'instruction donnée à la cavalerie et au goum est de se porter rapidement en tête, d'escalader la difficulté que représente le premier contrefort afin de parvenir à son sommet, le plateau étroit d'Ighil N'Tara, au besoin de surprendre le chérif et son goum et de le charger. Le premier objectif étant Ighil N'Tara avec le chérif, la cavalerie, si elle était vraiment d'un emploi nécessaire et efficace, ne pouvait y accéder que par les pentes sud et ouest. Les pentes nord sont raides et tombent trop rapidement sur le profond ravin de l'Ighzer Isgouan. Le chemin qui les emprunte le fait en contournant à mi-hauteur, sans monter au sommet, lui-même étroit et bordé de pentes trop déclives. Il relie le domaine villageois, avec Ifri, au fond de vallée de la Soummam. Une autre solution était d'emprunter la rive gauche de l'Ighzer Isgouan, par l'Harandjour, où les pentes sont moins rudes. L'inconvénient est ici de taille : Ighil N'Tara et le chérif deviennent absolument inaccessibles à la cavalerie. De plus son approche peut être interdite par des tirs en plongée. C'est finalement l'option la plus favorable à la cavalerie ayant pour but Ighil N'Tara qui a été choisie.

Ighil N'Tara termine la ligne de crêtes interfluves qui prend naissance dans le plateau de Ouanari, dans la partie occidentale du territoire des Ouzellaguen. Elle descend par paliers ou pentes rapides et porte successivement les villages de Tizi Meghlaz, d'Ighil Gou Dlès et enfin d'Ighil N'Tara, dispositif en série de villages perchés. La cavalerie, en contrôlant Ighil N'Tara et l'arrivée de la ligne de crêtes, doit permettre au reste de la colonne de gauche d'arriver rapidement, une fois le terrain dégagé, et de se mettre immédiatement en situation de rejeter complètement les contingents kabyles dans le large et profond ravin, creusé par l'Ighzer Isgouan.

 

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La colonne de droite, de loin la plus puissante[2], a pour tâche de servir de fermoir, verrouillant le dispositif tactique, empêchant l'éventualité où les contingents voudraient se dérober. En effet, le terrain que la colonne de droite a à parcourir est le plus facile, relativement découvert. La colonne centrale n'aura plus qu'à arroser, de sa position dominante d'Ighil N'Tara, le fond du ravin avec son artillerie, dans le but de semer la panique et de disperser les contingents. Alors, les trois colonnes, par un mouvement simultané de plongée, devront anéantir complètement l'ennemi.

Désormais, en milieu de montagne, les bataillons prennent l'habite de combattre sans emporter leurs sacs, qu'ils laissent au camp à la charge des grands gardes ou de quelques troupes. Ainsi, ils peuvent manœuvrer avec plus de rapidité et éviter l'asphyxie des ascensions. Cette opération suppose donc un retour au camp, qui est la base de départ, à moins que le camp ne vienne finalement rejoindre les troupes, après les combats. La colonne, comme c’est le cas aux Ouzellaguen, ne reste pas sur le versant, abandonne le champ de bataille et opère la retraite.

 

b) La tactique défensive des contingents kabyles

Le combat était décidé d'avance, les Ouzellaguen, avec le chérif Bou Baghla et les alliés attendaient la colonne française, sur le pied de guerre. Et la résistance n'a pas manqué à sa promesse. Bou Baghla a quitté les At Oughlis le 22 juin, après avoir vu les deux bataillons du 8e léger s'attaquer aux moissons de ces derniers et incendier six de leurs villages, sans combats. Avec ses 50 cavaliers et quelques fantassins, qui forment ses fidèles et les irréductibles de la guerre, il gagna alors les Ouzellaguen, probablement par le chemin qui serpente la partie supérieure du versant, reliant les At Oughlis et les Ouzellaguen, en franchissant l'Ighzer Amokrane, assez profondément encaissé. Il avait eu au total un peu plus de deux jours pour préparer le combat, c'est-à-dire pour choisir le lieu, rassembler des contingents, entreprendre les dernières fortifications et répartir les rôles.

Les Ouzellaguen choisirent naturellement leur territoire comme lieu de combat, dans une logique de défense territoriale et humaine. Le chérif a choisi quant à lui ce lieu parce qu'il a

 

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trouvé dans les Ouzellaguen des gens résolus et dans la topographie de leur territoire des dispositions favorables. Quant aux alliés, essentiellement des Ighawawen venus de l'intérieur du Djurdjura, solidarisés par des traités d'alliance avec les Ouzellaguen, ils pouvaient penser que la colonne, en remontant la vallée de l'Oued Sahel et en frappant sévèrement les populations de la rive gauche, viendrait aussi à passer chez les At Idjer par la route et le col de Chéréâ, plus accessible que le col d'Akfadou, même si, dans l'ensemble, les At Oughlis ont montré des dispositions moins belliqueuses que les Ouzellaguen.

Depuis le 22 juin jusqu'au matin tôt du 25 juin, les Ouzellaguen, avec le chérif, ont eu tout juste le temps d'étudier la situation, de prendre la décision de combattre, d'aller prêcher dans les villages des At Idjer et des environs pour qu'ils fournissent les contingents promis et rendent le retour du serment solennel de tous se lever contre toute colonne qui pénètre dans la vallée.

La tactique défensive des Kabyles ne trouve malheureusement aucune place directe dans les rapports militaires de la colonne. À bien des égards, elle reste dans le domaine de l'hypothèse. Cependant, il est possible de déduire des combats quelques certitudes et d'avancer des vraisemblances. Au combat de Selloum, Bou Baghla avec des contingents kabyles, parmi lesquels des Ouzellaguen de la première heure et en grand nombre, a eu affaire à une même tactique d'enveloppement par des troupes françaises, moins ample toutefois puisque son objectif était plus restreint, la prise du village qui leur servait de pivot. Dans quelle mesure a-t-il fait sienne cette expérience chez les Ouzellaguen ?

Il semble, en effet, que l'intention du chérif, des Ouzellaguen et des alliés est, en s'offrant en point de mire à hauteur d'Ighil N'Tara, d'attirer les troupes françaises dans la partie la plus accidentée du pays, la plus difficile à pénétrer et de rendre ses manœuvres tactiques inopérantes. En terrain découvert, la colonne serait à son entier avantage. Le chérif n'oublie pas qu'il est aussi personnellement un but de guerre. Les Français ont rapidement compris qu'il fallait le prendre au sérieux, sa personnalité se détachant nettement de celle du chérif Moulay Brahim[3][4], de qui il prit le relai, peut-être forcé. Le traitement tout à fait audacieux qu'il a donné à la guerre dans la région ne fait pas de doute. Une succession de quelques combats, tournés à son profit, le grandirait considérablement, l'amènerait en posi-

 

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tion de fédérer dans la guerre les régions kabyles. Au total, les Français trouveraient, chose qui était effectivement en bonne voie, un adversaire de haute volée.

En livrant un combat aux avant-postes, à Ighil N'Tara, le chérif peut se retirer, tout en étant couvert par ses cavaliers, à Tizi N'Chéréâ, cordon ombilical qu'il est impératif de contrôler et d'où, en sécurité, il peut suivre une partie de la bataille, la partie d'Ibouziden étant invisible. Il était aussi capital de détourner les Français de la partie orientale des Ouzellaguen, plus difficile à défendre quoique la fraction de Tighilt Lahfir soit relativement puissante, et surtout du col de Chéréâ car, autrement, la retraite éventuelle des contingents serait dangereusement coupée. Piégés dans les villages de l'amphithéâtre, sans la possibilité de recevoir des renforts pour les débloquer, leur sort se laisse facilement imaginer.

En faisant dévier l'axe du combat sur la fraction d'Ibouziden, toute action concertée des colonnes devenait difficile, contraintes de se fragmenter, de se disperser en éléments qui peuvent succomber devant les pièges topographiques, les culs-de-sacs, ainsi les amphithéâtres d'arrachage des ravins, notamment celui de l'Ighzer Ibouziden, dominé par des corniches culminant à plus de 1400 m, au rebord du plateau de Ouanari. Les formes du relief sont propices à la défense par la succession de crêtes interfluves élevées et de ravins profondément encaissés. La colonne d'attaque doit éprouver des difficultés pour progresser et travailler dans l'unité. Fragmentée et dispersée, elle perd un des grands atouts qu'elle a souvent mis à profit dans la guerre d'Afrique, la cohésion des lignes.

Il semble aussi qu'une partie importante des contingents kabyles aient été massés dans cette fraction à la défense des chemins, des villages et des positions choisies. La résistance y a été la plus forte et la plus efficace. Ces contingents devaient recevoir des troupes éprouvées par des ascensions pénibles et harassantes et amener la colonne à s'enferrer, à s'empêtrer, à s'enterrer dans le pays, rendant sa force émoussée et sa tactique stérile.

Si tel scénario a bel et bien été prévu, alors il est confirmé par les faits.

 



[1] Il faut comprendre le fond de vallée, près du grand village d'Azib ou Safsaf, ainsi attesté, étendu sur une partie des Mcisna, des At Oughlis et surtout des Ouzellaguen, aujourd'hui occupé par la petite ville d'Ighzer Amokrane (Selouana...).

[2] Elle doit probablement résister aussi à une éventuelle poussée venant de la partie nord du territoire des Ouzellaguen, à l'arrivée de renforts kabyles, pouvant passer par le col de Chéréâ.

[3] La personnalité et l'action du chérif Moulay Brahim restent néanmoins à étudier, pour confirmer, nuancer ou infirmer ce jugement.

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