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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Ouzellaguen 25-28 juin 1851 - Autopsie d'un grand combat - Guerre totale, guerre cruelle - La brutalité des colonnes françaises ou la guerre totale - Une guerre hautement psychologique

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 21 Février 2013, 23:56pm

Catégories : #Histoire des Ouzellaguen

 

3) Une guerre hautement psychologique

 

Cette guerre n'est pas seulement militaire. Elle est aussi profondément psychologique car elle ne s'adresse pas à un État, mais à une masse, faite d'entités collectives, indépendantes et multiples. Pour faire la guerre, il faut donc agir par l'exemple, par la persuasion, l'intimidation et par la terreur. Il n'est pas question d'une lutte entre deux États, deux nations, provoquant l'irruption de situations classiques, dans laquelle la nation victorieuse opère, par exemple, des annexions territoriales ou des reconsidérations de frontières aux dépens de la nation vaincue. La première ne se substitue pas en tout et pour tout à sa rivale vaincue, elle peut au mieux établir sur cette dernière un protectorat à sa dévotion, variablement rigoureux.

Cette fois dans le type de guerre dit colonial, le colonisateur nie totalement la personnalité de l'autre. Le pays et ses habitants deviennent une simple affaire de propriété. On veut la substitution d'un État à ce qu'on regarde comme une absence d'État. Pour forcer la légitimation de ce principe et opérer la prise de possession d'un peuple et de son territoire, il faut mener cette guerre psychologique, qui allie victoire militaire, indispensable de toutes les façons, et, en propre, victoire psychologique totale, à la fin d'interdire toute manifestation d'une identité concurrente, toute expression possible d'une personnalité distincte qui immanquablement exigerait indépendance.

Il ne s'agit donc pas d'une guerre entre armées régulières ou nationales, de type européen, régies par des usages militaires, par une certaine déontologie de la guerre, et où la guerre est un métier réservé à des praticiens, des professionnels, où la victoire se traduit par la capitulation militaire de l'autre. La guerre est faite entre une armée régulière et une population d'hommes libres indifférenciés, civils mais aussi guerriers autant que les circonstances le commandent, ainsi s'explique la place très forte du caractère psychologique. La guerre est une entreprise de démoralisation et la démoralisation sert à éviter une nouvelle guerre. S'il doit y avoir une victoire contre eux, elle doit être complète et totale, et se faire contre le peuple tout entier résigné.

 

p 148

 

D'où le caractère de la guerre coloniale : la nécessité de se battre contre toutes les "tribus", qui sont autant d'entités indépendantes, toute "tribu" peut être un foyer de renaissance du combat, car elle possède en elle-même, du fait de sa constitution indépendante, tous les ressorts de l'usine qui fabrique sa personnalité, et, de là, la raison de contester, de défendre et de se battre. La prévision et l'anticipation coloniale, en cette matière, est pratiquement impossible. D'où la nécessité d'appliquer, non pas une gestion qualitative, différenciée, cas par cas, mais la terreur qui s'adresse à tous, sans exception, en transcendant tous les cas de figure, le nombre quasi infini des individualités indépendantes, qu'il aurait fallu, avec d'autres moyens, abattre une à une. Il faut marquer profondément, et de façon indélébile, les populations, pour que le souvenir de faits douloureux agisse comme une sanction préliminaire contre toute velléité de révolte et d'opposition.

On considère que cette guerre n'oppose pas des militaires entre eux, selon un code de l'honneur. Les généraux français enlèvent toute reconnaissance de plein droit et de rang égal à leurs adversaires et interlocuteurs dans la guerre. Les chérifs sont pris obstinément pour des usurpateurs, des agitateurs, des charlatans, qui déversent leurs paroles mensongères au milieu de populations crédules. Ces populations, organisées incontestablement en entités politiques indépendantes, vivantes et cohérentes sont traitées plus ou moins comme des "sauvages", excusant d'avance tout manquement qui peut ne pas seoir à une bonne conscience. Ces pratiques, largement diffusées, sont jugées particulièrement adaptées au pays et à ses populations, qui y obligent par leur "sauvagerie", absentes ainsi des valeurs supérieures qu'on reconnaît aux pays civilisés. Ainsi, s'expriment ceux qui se considèrent ou sont généralement considérés comme les meilleurs connaisseurs du pays et de ses habitants.

Cette guerre voit ses caractères aggravés dès lors que les troupes françaises trouvent pour leur faire front des populations sédentaires, comme en Kabylie, attachées à leurs champs cultivés, à leurs villages fortifiés, à leurs maisons, qui ont l'habitude d'être maîtresses chez elles, de se rendre impénétrables aux étrangers et aux agresseurs. Une étude d'ensemble sur la question kabyle, sur le projet d'une expédition, faite par le bureau politique du gouvernement général, reflète bien la politique kabyle des militaires français en 1851 :

"Un désarmement ne peut donc être entrepris qu'avec la conviction intime que la population kabyle aura été abattue et terrifiée de façon à ne plus lui laisser aucun des sentimens avec lesquels il est né et il a grandi.

[…]

Ce peuple est au dessus des adversités ordinaires, son caractère

 

p 149

 

et ses principes religieux lui donnent une force de résignation très considérable ; il est donc nécessaire de le traiter dans le début avec une rigueur qui lui fasse dépasser le point que sa résignation habituelle lui permet d'atteindre, il faut le désespérer ; on y arrive sûrement par la destruction non de ses maisons ni de ses récoltes, ils en supportent le sacrifice sans trop d'efforts, mais bien par celle des arbres fruitiers auxquels son existence est misérablement liée."[1]

Il n'est pas possible que le général Camou ne soit pas imbibé de ces principes.

 



[1] 10 H 78, projet d'expédition contre  la Grande Kabylie, 1851, par le lieutenant-colonel, chef du bureau politique, au gouverneur général.

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