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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Ouzellaguen 25-28 juin 1851 - Autopsie d'un grand combat - 28 juin, acte second - Des combats qui s'achèvent

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 19 Février 2013, 17:20pm

Catégories : #Histoire des Ouzellaguen

4) Des combats qui s'achèvent

 

a) La brillante victoire française...

Les combats s'achèvent au bout, de quatre heures, à 8 heures dans la matinée : "les dernières positions sont prises et les Kabyles sont partout en fuite [...] pour augmenter le désordre des groupes de fuyards, le Général leur fait lécher quelques salves d'obus."[1] Ailleurs, il est écrit :

"Les contingents du Chérif furent bravement débusqués de toutes les positions qu'ils avaient choisies et fortifiées contre nous."

La victoire est jugée particulièrement brillante du côté français. Au palmarès, les tirailleurs indigènes d'Alger arrivent en tête :

"Tout le monde dans cette journée a remarqué la brillante conduite des tirailleurs qui ont montré un élan remarquable dans l'enlèvement de positions très difficiles et bien défendues."[2]

 

p 115

 

Laissons la fin au général Camou, qui réserve ainsi son opinion et sa conclusion :

"Cette fois le Chérif qui n'avait probablement pas grande confiance dans ses dispositions ni ses gens, ne s'était point mêlé aux contingents du col des Beni Idjer, d'où il dominait le champ de bataille, il a assisté à toutes les phases de la déroute des siens et nous le vîmes bientôt disparaître dès qu'il eut été rejoint par les bandes voisines.

La journée était décisive pour tout le monde : on employa les heures qui restaient après le combat à achever la destruction des villages et des propriétés de la fraction qui n'était pas venue : la journée nous a couté seulement six blessés ; l'ennemi nous a laissé dans les mains une dizaine de morts, mais les contingents Zouaouas ont dû en emporter beaucoup d'autres."[3]

 

b) ... le désastre et la colère des Ouzellaguen...

Les contingents du Djurdjura intérieur, déroutés par la hardiesse du mouvement d'attaque français, n'ont pu conserver les positions qu'ils devaient défendre. Après quelques accrochages, ils ont partout lâché prise, donnant une issue irrémédiablement négative à la bataille. La qualité de la résistance de la journée du 25 juin ne s'est pas renouvelée. Pourtant, la veille, ils s'étaient jurés de ne rien céder, qu'ils défendraient sans compter l'accès des villages des Ouzellaguen, quitte à passer tous par le fil des armes. Cette promesse solennelle qui crée une émulation entre les contingents, fondée sur la valeur guerrière et la qualité de nif (le point d’honneur) qui leur sont habituellement reconnues, que l'on verra exprimée à un point ultime au combat d'Icherriden en 1857, a encouragé les Ouzellaguen.

La déception est incommensurable du côté des Ouzellaguen : les alliés et le chérif ont failli à leur serment. Le résultat est un véritable désastre qui les précipite, tout à merci, entre les mains du vainqueur. Ils en conçoivent un grand chagrin, une grande affliction mais aussi une colère profonde pour le manquement qu'on leur a fait. Les Ighawawen, complètement désemparés, se sont livrés à une débandade générale. Ils ne voulurent pas laisser sur le terrain un tribut aussi lourd que la fois précédente. Ils ne voulurent pas être anéantis, sans frais, par une manœuvre dangereuse faite à leurs dépens.

Cette version des faits rapportée par Camou, après l'avoir reçue pour une part directement des Ouzellaguen, le lendemain 29 juin,

 

p 116

 

est aussi confirmée de la bouche même de ces Ouzellaguen, sans la moindre ambiguïté, les semaines qui suivirent, tout furieux d'avoir été battus d'une façon aussi misérable et traître. Le journal de marche s'en fait le porte-parole : "les Zouaouas n'ont pas tenu un seul instant, et ils ont laché pied en abandonnant honteusement les Ouzellaguen". Les généraux ne manquent pas une occasion de desservir le chérif.

Ainsi, les Ouzellaguen tombent au profond de l'abîme, mais la tête haute. Les luttes à venir s'annoncent très dures, elles n'en restent pas moins légitimement préservées.

 

c)... à moins que les textes ne soient à tempérer

Si le général Camou met beaucoup d'empressement et de conviction à rendre compte longuement de la journée du 25 juin, dès le lendemain, il en va tout autrement de la journée du 28. Près d'une semaine se passe, avant qu'enfin, le 4 juillet, pareille chose se fasse. Un tel délai traduit bien la gêne de Camou, qui ne confère qu'une publicité limitée aux derniers événements. Alors que le premier rapport était entièrement consacré aux Ouzellaguen, n'hésitant pas à remonter au départ de la colonne de Bougie pour mieux en marquer la portée, le second voit leur part restreinte.

Après avoir reçu le 30 juin, par télégramme, les chaudes félicitations du gouverneur général, manifestées aux généraux Camou et Bosquet et à leurs troupes, il devenait plus souhaitable d'apporter des résultats nouveaux et concrets dans la prochaine correspondance, autres que la simple soumission des Ouzellaguen. Pour mieux diluer la nécessité du recours à une deuxième journée de combat, il importait de l'insérer dans une trame plus large, pour laquelle un achèvement local est donné. Il en sera bientôt question.

Le résultat est que ce document est moins riche que le précédent. Camou ne s'embarrasse plus de détail. Il est difficile de donner un nom aux villages dont il est fait allusion, les trajets des troupes sont inconnus, autant que le nombre, la forme et le déroulement des combats. Camou expose en quelques lignes la tactique mise en œuvre, puis sans en démontrer l'application, il passe, sans autre façon, à la conclusion suivante : "à 8 heures les dernières positions des Ouzellaguen sont prises et les Kabyles sont partout en fuite...".

Cette aisance du discours, qui permet de passer sous silence, dans un raccourci saisissant, près de 4 heures de combats, laisse quelque doute et masque peut-être une réalité moins embellie. Les troupes françaises auraient fait preuve d'une célérité entraînante

 

p 117

 

au combat. Cette dernière n'est-elle pas en partie prétendue et due à la nécessité de rendre compte du combat par une célérité sur le papier, à expédier au supérieur immédiat ? La question est à poser, surtout quand, bien souvent, les rapports d'un général en campagne sont à considérer avec précaution, voire avec circonspection.

Les Ouzellaguen, le chérif et leurs alliés n'ont même plus la place, déjà insuffisante, qu'ils avaient dans le premier rapport. Le document emprunte un style allusif, manquant de rigueur et de précision, pour rendre plus assurée une victoire qui, sans être en défaut, est peut-être moins brillante. Malgré cette absence, il y a tout de même un titre de gloire à ajouter à la chaîne de ceux qui existent déjà, ainsi pour la mention spéciale accordée aux tirailleurs indigènes.

Ainsi, l'adversaire n'a d'attention que si, et seulement si, par son caractère et son action, il sert de faire-valoir.

Cette seconde journée illustre une des grandes faiblesses tactiques des Kabyles. Ils ne s'attendent pas à être attaqués par les crêtes et à voir leurs défenses ainsi mises à nu. Ils mettent trop de confiance dans les dispositions défensives du relief. La défense topographique est une arme à un seul usage, elle n'est efficace que si l'adversaire se prête à ce jeu. Dans le cas contraire, la bataille devient trop prématurément jugée, les Kabyles, n'ayant pas de tactique de rechange face à une colonne puissante, se dispersent rapidement.

 

5) La victoire finale de l’artillerie[4]

 

Une contribution tardive jette une lumière rétrospective différente sur la journée du 28 juin. On la doit au général de Forsanz qui a retracé l’histoire du 3e régiment de chasseurs d’Afrique en 1898 et qui donne du crédit à nos doutes précédents. L’objectif premier est de ruiner économiquement les Ouzellaguen : la colonne « se porta de nouveau, le 28, chez les Beni-Aouzellaguem, pour détruire leurs biens. » La phrase clé est celle-ci : « La résistance de ces Kabyles fut si vive qu’il fallut employer le canon. Mais le but de l’opération n’en fut pas moins atteint. »[5] L’artillerie est ainsi la reine des batailles : c’est elle qui permet d’emporter la victoire à l’arraché et d’empêcher les Algériens d’y accéder. Installée sur une position dominante, elle a pu faire pleuvoir ses obus sur tout le secteur. Trois obusiers étaient apprêtés au lieu de deux, ainsi qu’il est signalé précédemment. Les tirailleurs s’avancent dans la foulée, pour finir le travail : éliminer des adversaires désorganisés et détruire les villages. L’usage préférentiel de l’artillerie est pour sûr une idée du général Bosquet, de même que le recours aux tirailleurs qu’il connaît si bien pour avoir contribué à les former et à les diriger. La résistance des Kabyles reste incontestable et ils n’ont été finalement vaincus que par l’artillerie. Les Ouzellaguen continuent d’en vouloir à leurs alliés pour avoir finalement lâché prise, malgré des efforts désespérés.

 

© Abdel-Aziz Sadki

mis en ligne le 19 février 2013


[1] H 213, journée du 28 juin.

[2] H 213, journée du 28 juin.

[3] 2 H 8, rapport n° 105, 4 juillet 1851.

[4] Note de 2013. Cette section est ajoutée au travail original : l’extrait utilisé ici ne nous était pas alors connu.

[5] De Forsanz, général (ancien colonel du 3e chasseurs d’Afrique), Le 3e régiment de chasseurs d’Afrique, Paris, Nancy, Berger-Levrault, 1898, p. 158.

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