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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Historiographie du mouvement chérifien algérien 12-14

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 24 Novembre 2013, 22:45pm

Catégories : #Histoire du mouvement chérifien algérien 1845-1854

3. Les mahdis et le mahdisme

 

Le mahdî est un type spécifique à l’univers islamique, qui prend cependant place dans le cadre du messianisme religieux et politique en général.

 

Le mahdi cristallise particulièrement les stéréotypes. Ainsi, est-il avant tout une figure sanglante. L’horreur anthropologique du bain de sang que connote le mahdisme prend corps dans la culture coloniale qui naît en Algérie dans les années 1860. Le « Moulé-Saâ » est pour Aucapitaine « ce sanguinaire régénérateur de l’islamisme », redouté par tous les musulmans[1] : « Moule Saâ - le maître de l'heure - sorte d'Ante-Christ musulman qui doit un jour régénérer le monde : cette régénération miraculeuse sera précédée des plus sanglantes catastrophes. Cette croyance est très-populaire chez les Arabes, surtout chez ceux de l'Ouest. »[2] Faisant ici mauvaise lecture du capitaine Richard[3], le mahdi fusionne avec l’Antéchrist. Les eschatologies chrétienne et musulmane se télescopent. Les chrétiens, confrontés à la menace musulmane, regardent longtemps Mahomet comme l’incarnation de l’Antéchrist. Pour les musulmans, le mahdi, l’Antéchrist et Jésus doivent entrer successivement en scène, le mahdi et Jésus pour combattre l’Antéchrist. La conception d’Aucapitaine prend racine dans une vieille rivalité de guerre sacrée entre chrétiens et musulmans.

 

Le mûlay as-sa’â habite les Algériens, soucieux de mettre fin à la domination française. Chez les colons, c’est une figure sombre et sanglante, bras armé contre les chrétiens. Ernest Watbled, ardent défenseur du régime civil et colonial, le campe en préambule de l’insurrection de 1871 : « Le musulman algérien vit dans l’attente de son messie, ­­– un valeureux sultan, armé d’un glaive céleste, monté sur un coursier rapide et exterminant tous les infidèles sur son passage. « Il massacrera les mécréans jusqu’au dernier, et construira avec leurs os blanchis au soleil les mosquées des musulmans régénérés. » Cette tradition est sacrée et d’une autorité souveraine chez les Arabes : ils croient tous qu’un jour doit surgir à l’improviste ce terrible régénérateur de leur race qui purgera l’Algérie de la présence des chrétiens. En attendant la venue du Moul-el-Saa, le musulman se soumet et accepte, comme expiation de ses fautes, la domination sacrilège des infidèles ; mais cette domination lui est odieuse. »[4] Il n’y a alors plus de fond à faire sur les « musulmans algériens ». Cependant, c’est un élément de la peur coloniale car, à aucun moment, le mûlay as-sa’â n’apparaît dans le récit de l’insurrection.

 

Le mahdisme est une donnée entièrement politique pour le capitaine Villot. Pour cette raison, il l’écarte de son analyse des mœurs et des croyances algériennes et ne lui concède qu’un petit paragraphe. Contrairement à beaucoup, il minore l’importance et le caractère dangereux du mûlay as-sa’â. Nul besoin de le prendre au sérieux puisqu’il est une « donnée toute orientale » : « Nous n'avons pas parlé du Mouley-Saha (le maître de l'heure), qui doit venir délivrer l'islamisme du joug des chrétiens, parce que ce sujet nous eût forcément entraîné vers des considérations politiques que nous voulons éviter. Du reste, la croyance en la venue d'un messie qui doit faire régner sur la terre la justice, le bonheur, la liberté et tous les biens chers au cœur de l'homme, est une donnée toute orientale, dont il ne faut pas déduire des conséquences exagérées. »[5] La mission du mahdi est libératoire, contre la domination française et chrétienne. Le stéréotype « oriental » connote l’inconsistance, la légèreté et l’opinion gratuite et irréfléchie. Autrement qu’avec un mahdisme qui a peu de chances de succès, Villot fonde des espoirs de transformation sociale par la régénération des Arabes. Il range d’abord le mûlay as-sa’â dans le registre de la superstition avant de rectifier le propos : « Ce n’est pas une superstition, c’est un dogme pour les Musulmans. »[6]Il professe plus loin une opinion contradictoire, plus positive, qui laisse l’histoire ouverte : « Le Moul-es-Sâa (le maître de l’heure) est l’homme de génie à venir qui saura réunir, en un faisceau unique, toutes les forces de l’Islam et les mener à la conquête religieuse et politique du monde.

        Le Moul-es-Sâa n’est pas une chimère irréalisable ! »[7]

 

 

Le mahdisme est appliqué à certaines figures de l’Algérie du XIXe siècle, en premier lieu à Bû Ma’za. C’est avant tout comme un nouveau prophète et un maître de l’heure que le Britannique Charles-Henry Churchill présente ce dernier en 1867 : « En mars 1845[8], Mohammed Ibn Abdellah, surnommé Bou-Maza, leva l'étendard sacré dans le Dahra et la vallée du Chéliff. Ce nouveau prophète allait prêchant de tribu en tribu, s'écriant : "Je suis l'homme du destin qui doit apparaître à l'heure prédite par les prophéties, l'heure de la libération". Il s'engagea à débarrasser, en un an, l'Algérie des Français." » Il poursuit : « Cet imposteur avait sa chèvre (que suggérait son surnom, Bou-Maza, ou "Père de la chèvre") comme Sertorius avait sa chienne, par laquelle il prétendait recevoir ses communications célestes. Il promettait à tous ceux qui croyaient en sa mission, non seulement la mise à sac des Chrétiens, mais aussi de tous les musulmans renégats. Par ces méthodes, il rassembla autour de lui quelques centaines de partisans, et attaqua par surprise quelques postes français. »[9]

 

Cependant, le mahdisme de Bû Ma’za n’est jamais analysé, à l’exception du travail pionnier du capitaine Richard.[10]Celui-ci comble le désir béant de l’actualité sur Bû Ma’za et le mahdisme. L’insurrection du Dhara est un ouvrage sans équivalent. Sa qualité semble avoir dissuadé ceux qui voulaient frayer le même terrain après lui.[11]

 

Le capitaine Varigault ne définit guère le mahdisme quand il écrit en 1879 : « Il se présenta aux tribus d'Orléansville comme le Mouley-Sâa (le maître de l'heure), comme celui qui était destiné à détruire les Chrétiens ». Bû Ma’za n’est, pour lui, qu’un « prétendu Moley-Sâa ».[12] Un contemporain, le comte Henry d'Ideville insiste davantage sur les chérifs et n'évoque jamais le mahdî ou le mahdisme.[13]Le mahdisme « algérien » ne suscite ni intérêt particulier, ni recherches historiques.

 

Le succès de Marabouts et khouan est à l’origine de la position d’autorité qu’occupe bientôt Louis Rinn. Les qualités, les défauts, les manques et les oublis en font le socle des conceptions postérieures dans bien des domaines. Ainsi, le mahdi et le mahdisme sont à peu près oubliés dans la matière de l’ouvrage.

 

C’est précisément au moment où le mahdisme de Bû Ma’za se perd qu’émerge une nouvelle figure, au début des années 1880. Le mahdî soudanais, Muhammad Ahmad ibn ‘Abd al-Lâh (1844-1885) marque l’actualité. L’étude du mahdisme prend corps cette fois dans le domaine anglo-saxon du champ occidental et trouvera résonance bien plus considérable. C’est une autre tradition culturelle et historiographique qui se construit.[14] Le Soudan devient la patrie du mahdisme à l’époque contemporaine. L’avènement du XIIIe siècle de l’hégire est propice à l’apparition du mahdi. Muhammad Ahmad se déclare mahdi en 1881. Très souvent, Bû Ma’za est éclipsé et presque jamais évoqué. L’événement est à l’origine des trois conférences à succès, prononcées par James Darmesteter au collège de France.[15] De manière surprenante, mais symptomatique, l’auteur ne parle pas de Bû Ma’za, ni d’autres acteurs algériens. Surprenante, car la France s’est trouvée confrontée au mouvement. Symptomatique, car Bû Ma’za tombe à peu près dans l’oubli. L’ouvrage du capitaine, qui n’a connu qu’une seule édition, devient difficile à trouver. Le mahdisme bû-ma’zien ne tient donc pas la comparaison avec son homologue soudanais. Darmesteter se consacre à d’autres terrains que l’Algérie, comme l’Égypte qui a vu se dresser un mahdî contre l’armée de Napoléon Bonaparte. Sur ce point, il y a une déconnexion entre les milieux algériens et les milieux scientifiques, notamment orientalistes à Paris.

 

La fascination pour le mahdî pénètre le champ littéraire. Hugues Le Roux (1860-1925) fait jouer le rôle de maître de l’heure à Muqrânî dans un roman à succès, alors que l’action de ce dernier ne revêt aucun caractère mahdiste.[16] Les confusions sont faciles, mêmes si elles tiennent parfois à la liberté romanesque. Cependant, Al-Hâjj Ahmad al-Muqrânî est alors, brièvement, le maître de l’heure, dans une sorte de messianisme politique, déconnecté ici de tout caractère religieux, souvent omniprésent. L’année 1871 est à tous égards l’année de Muqrânî.

           

Le caractère mahdiste de Bû Ma’za disparaît complètement chez des biographes comme le général Derrécagaix en 1911[17] ou l'écrivain André Lichtenberger en 1931.[18]

 

Gabriel Esquer[19] évoque d’abord le marabout-ta’lîb Muhammad ben ‘Abd al-Lâh avant de passer, sans autre forme de procès, au caractère mahdiste de son action pour 1841-1842 ; mahdi et messie étant synonymes : « Ainsi promu à la dignité de Mahdi, l’obscur thaleb prit comme il convenait le nom de Mohammed ben Abdallah, que doit obligatoirement porter le Messie auquel Allah a réservé la gloire d’expulser les infidèles. Ainsi, peu après, Bou-Maza. »[20]

 

André Servier signale rapidement les chérifs et considère surtout le mahdisme et le califat comme les deux tendances de l'esprit musulman.[21]Georges-Henri Bousquet n’intègre d’abord pas le mahdisme dans sa synthèse surL'Islam maghrébin, publiée en 1942.[22] La seconde édition lui accorde une petite place. Mais, il élude à peu près complètement le mouvement mahdiste pour l'Algérie contemporaine et ne fait aucune allusion à Bû Ma’za : « A l'époque contemporaine enfin, le mahdî se dresse contre l'envahisseur et les nations européennes ayant des sujets musulmans, ont connu la levée d'un tel mahdî ici ou là. A l'heure actuelle, il ne présente plus guère de danger. Le plus célèbre d'entre eux fut le mahdî qui domina au Soudan à la fin du XIXe siècle et ne fut réduit que par Kitchener. L'opposition armée aux Européens n'est pas liée à ce concept. Ni Abd-el-Kader, ni Abd-el-Krim ne se sont proclamés mahdîs. Ils furent pourtant redoutables. »[23] Le mahdi soudanais éclipse le mahdi algérien. En tout cas, le mahdisme n’est plus un danger dans les années 1940. L’ouvrage est significatif d’un ordre général, où l’islam est surtout étudié sur la base de sources canoniques et juridiques, moins sur des pratiques observées dans la vie quotidienne et moins par le recours aux faits historiques.

 

 

 

© Abdel-Aziz Sadki

version du 08-01-2013

mise en ligne le 25-11-2013



[1] (…)

[2] (…)

[3] (…)

[4] (…)

[5] (…)

[6] (…)

[7] (…)

[8] En fait, en avril 1845. Une erreur qui est souvent reprise. Smaïl Aouli, Ramdane Redjala et Philippe Zoummeroff datent par erreur du milieu de mars 1845 le soulèvement de Bû Ma’za, dans (…).

[9] (…)

[10] (…)

[11] (…)

[12] (…)

[13] (…)

[14] (…)

[15] (…)

[16] (…)

[17] (…)

[18] (…). La plupart des auteurs qui ont eu à traiter de cette période eurent à évoquer Bû Ma’za, souvent à l’emporte-pièce et de manière redondante.

[19] (…)

[20] (…)

[21] (…)

[22] La première édition date de 1942 et connaît un vif succès, ce qui entraîne plusieurs rééditions. La deuxième est rédigée en décembre 1944. La troisième est mise à jour jusqu’à l’été 1949. La quatrième date de 1955.

[23] (…)

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Z
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S
Vous ne donnez pas assez de précisions. Il y a beaucoup de Muhieddine en Algérie et ailleurs : c'est un nom ou un nom de famille très répandu. Le père de l'émir 'Abd al-Qâdir se nommait Muhî ad-Dîn. Un membre d'une famille importante de la confédération des Beni Djaâd est d'abord chef de résistance à la conquête française avant de se soumettre et d'obtenir de la part des Français un grand commandement comme khalifa et de combattre ceux qui résistent encore. Il faut donc des précisions sur les lieux où vivait cette famille, la tribu à laquelle elle appartient et les dates au moins approximatives de son existence.
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A
salut bin voila je cherche la fammille de mohayiddine.qui a disparue an 1845 enfete a leser diriere lui son frere a lepoc mohayiddine et tres conue an algerie merci
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S
اتا باحث فى تاريخ الجزائر جامعة القاهرة قسم تاريخ ومسجل موضوع ماجستير ------- التعليم فىى الجزائر فى ظل الاحتلالالفرنسى 1830 1962 محتاج كتاب شارل روبرت اجرون عن السيايسة التعلمية فى الجزائر محتاج كل الكتب سواء بالف
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S
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S
كل الكتب عن التعليم اثناء الاحتلال الفرنسى
S
شكرا لكم انا من مصر محتاج كل الكتب بالعربى او الفرنسى
S
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