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HISTOIRE DE L'ALGERIE

HISTOIRE DE L'ALGERIE

Sont présentées ici des recherches historiques sur l'Algérie du XIXème siècle et de manière générale sur le Maghreb et la France. Aux recherches s'ajoutent des points de vue, des notes de lecture et des instruments de travail.


Ouzellaguen 25-28 juin 1851 - Autopsie d'un grand combat - Contingents alliés et effectif armé des Ouzellaguen

Publié par Abdel-Aziz Sadki sur 11 Février 2013, 10:36am

Catégories : #Histoire des Ouzellaguen

 

3) Les contingents alliés

 

Les contingents qui ont pris part aux combats ne sont pas précisément spécifiés. La grande diversité et la grande liesse de l'insurrection triomphante n'ont plus cours. C'est ainsi qu'il n'y a pas de contingents de la rive droite de la Soummam, la plupart après les premiers revers et surtout à l'approche de la colonne ont regagné leurs pays, dans le but de les défendre. Ils se regroupent localement pour affronter la colonne ou s'efforcent de ne pas attirer l'attention sur eux. Parmi les contingents qui combattent aux Ouzellaguen, deux sont clairement identifiés, la puissante population des At Idjer, spécialement la fraction des At Salah qui est au contact des Ouzellaguen, et le parti insoumis des At Oughlis, qui n'était de toute évidence pas excessivement nombreux. Ce dernier s'est assurément retiré chez les Ouzellaguen avec le chérif, formant ses quelques fantassins.

Pour désigner les contingents qui sont venus en aide aux Ouzellaguen, la colonne Camou parle de "Zouaouas", nom sous lequel se découvrent des collectivités fort nombreuses. L'essentiel a été fourni par les populations frontalières ou voisines des Ouzellaguen, notamment des alliés directs, en plus des At Idjer, qui n'ont cessé depuis des années de combattre ensemble, At Zikki (un témoignage oral que nous avons recueilli l'assure), Illoula Amalou avec les tolbas de Sidi ou Dris en particulier, une partie probablement des Illoula Assameur hostiles à Ben Ali Chérif, At Mellikeuch, et vraisemblablement des Illilten et des At Itouragh et peut-être encore des At Ghobri. Il se peut que dans la journée des contingents soient venus de plus loin encore, mais dont on ne peut absolument pas apprécier l'importance. Il est évident que les gens farouchement déclarés pour la guerre dans ces populations, même venant de loin, y ont pris part. Toutefois Bou Baghla a mis deux jours pour amener les contingents, pour la première comme pour la seconde journée. En toute vraisemblance, ils ne peuvent se situer à plus d'une journée de marche.

 

4) L'effectif armé des Ouzellaguen

 

Il est difficile d'apprécier l'importance des effectifs kabyles engagés au moment du combat. En tout cas, rien que l'effectif de l'expédition française menée par le général Camou, avec ses 5400 hommes, égale ou excède la population entière des Ouzellaguen,

 

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femmes, enfants et vieillards compris. Aucune statistique n'apporte avec une rigueur indiscutable le chiffre de la population totale ou celui de l'effectif armé des Ouzellaguen. Bien plus, les statistiques réalisées par les bureaux arabes se révèlent particulièrement mauvaises pour les Ouzellaguen, réalité qui échappe encore beaucoup à leur observation comme à leur emprise.

Les indications qui suivent ne peuvent trouver ici l'endroit pour une discussion serrée. Quoiqu'il en soit, jusqu'en 1851, elles ont toutes été effectuées à distance des Ouzellaguen, sans qu'aucun officier français n'y mette le pied.[1]

Du Courthial, chef de bataillon, commandant de place à Bougie depuis mai 1842, attribue 600 fantassins et 2000 habitants aux Ouzellaguen, statistique dans laquelle il faut probablement voir le "recensement de 1844-1845".[2] Les indications de Du Courthial ont leur justesse pour d'autres matières. Il bénéficie d'une présence militaire française déjà ancienne dans la région, depuis septembre 1833, il a pu avoir le temps d'observer et de confronter les renseignements épars et de corriger le travail de ses prédécesseurs. Le chiffre de population totale des Ouzellaguen est d'une faiblesse évidente, même si c'est l'ordre de grandeur qui était atteignable par les méthodes d'investigations usitées jusqu'en 1851 au moins.

Le colonel Périgot, commandant supérieur du cercle de Dellys, dans son rapport du 30 juin 1846, prête 800 fusils aux Ouzellaguen, dont 40 au village d'Ighil Gou Dlès et 15 au village de Sidi Ahmed ou Saïd. 15 fusils du village de Semaoun, des At Oughlis Assameur, et 70 fusils du village d'Ighil Gou Mced, des Illoula Assameur sont à retrancher pour avoir été intégrés par erreur au total des Ouzellaguen qui se monte alors, déductions faites, à 715. Relevons bien la précision du chiffre et le dénombrement village par village qui donne une relative consistance à son travail. Par ailleurs, selon ses estimations, Périgot donnait 33 000 fusils pour 120 000 habitants aux populations comprises dans le triangle Bougie Hamza-Dellys. En reprenant son coefficient de proportionnalité général entre le nombre de fusils et la population totale, on obtient une population de 2600 habitants pour les Ouzellaguen.

Le colonel Daumas, directeur des affaires arabes au gouvernement général, dans un état du 8 avril 1847 qui prépare l'expédition du maréchal Bugeaud dans l’Oued Sahel, confère 500 fantassins aux Ouzellaguen. En prenant son coefficient de proportionnalité, la population totale des Ouzellaguen est de 1667 habitants, chiffre largement insuffisant.

Daumas, encore lui, dans un état du 25 mai 1847, donne cette fois 100 fusils seulement aux Ouzellaguen contre, par exemple, 3000 aux

 

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Illoula Assameur. De toute évidence, il s'est fait duper par les envoyés des Ouzellaguen ou il a été induit en erreur par ses agents de renseignement.

Desvaux, chef d'escadron de spahis, directeur par intérim des affaires arabes de la province de Constantine, à la même date du 25 mai 1847, apporte un chiffre de 1200 fusils aux Ouzellaguen, qui trahit un autre excès. Il manque beaucoup de coordination entre les différents services, notamment en comparaison de l'état précédent de Daumas.[3]

Carette, en 1848, dans un de ses ouvrages, donne 450 habitants aux seuls trois villages qu'il reconnaît aux Ouzellaguen.

Le bureau arabe de Sétif, dans un état du 25 avril 1848, livre l'estimation la plus optimiste jusqu'ici, avec 2250 habitants, ventilée en 600 fantassins et 1600 femmes, enfants et vieillards. Dans quelle mesure Ben Ali Chérif a-t-il apporté son concours à cette estimation ?

Le colonel de Wengi, commandant supérieur du cercle de Bougie, à la fin de 1851, inaugure la période d'observation rapprochée qui n'en connaît pas moins de sérieux aléas, malgré la soumission récente des Ouzellaguen. La population des Ouzellaguen est seulement de 1850 personnes, dont 600 fantassins et 1200 femmes, enfants, vieillards. Leur soumission n'arrange rien aux choses, bien au contraire, semble-t-il, puisqu'ils continuent de masquer ce qui les concerne, en particulier le nombre des femmes et des enfants.

L'année 1852 voit tomber le chiffre des Ouzellaguen à 1065 habitants, dont 400 hommes, 350 femmes et 315 enfants ! Les bureaux arabes ne s'embarrassent pas d'incohérences. Le premier dénombrement, à peu près digne de ce nom, est réalisé par le bureau arabe de Bougie au mois de mai 1861 et porte la population des Ouzellaguen à 2800 habitants, répartie en 940 hommes, 890 femmes et 970 enfants. Ce chiffre retombe bizarrement à 1729 en 1866 pour remonter à 2845 en 1869.[4] On passe à 4090 habitants en 1879, l'amélioration statistique est évidente, à 4532 en 1884. Mais, il faut attendre 1891 pour avoir cette fois un chiffre assuré, égal à 6073 personnes, avec la fixation de l'état-civil.

Peu après la défaite des Ouzellaguen, vers 1856, le capitaine Devaux, qui a servi aux At Mansour, donne une distribution militaire interne qui vaut ce qu'elle vaut mais qui, dans son ensemble, est assez conforme aux hiérarchies existant entre les villages. Plusieurs villages sont manquants, à moins que certains d'entre eux ne soient confondus dans d'autres, ainsi peut-être Nasseroun dans Tighilt Lahfir, Chehid dans Sidi Ahmed ou Saïd, Tazerouts et Cheurfa dans Ibouziden. Il manque les villages d'Imahdjaten et d'Isgouan. Le grand village de Tighilt Lahfir peut aligner 150 fusils, Sidi Ahmed ou Saïd 50, Ihaddaden (Tigzirt) 30, Igheban 80, Timilyiwin 50, Ifri 120, Ighi Gou Dlès 50, Ibouziden

 

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150 et Tizi Meghlaz 40. La fraction de Tighilt totalise 230 fusils, la fraction d'Ifri 250 et la fraction d'Ibouziden 270. Au total, les Ouzellaguen sont forts de 750 fusils.

La sous estimation de la population des Ouzellaguen est manifeste jusqu'en 1891. Elle est plus forte que pour la grande majorité des autres populations algériennes. Ces statistiques traduisent plus le fait qu'elles sont un terrain de combat entre les Ouzellaguen et les bureaux arabes qu'elles ne reflètent une évolution démographique.

Il reste que les Ouzellaguen en 1851 ont pu engager au combat 700 à 900 fantassins, fourchette volontairement large et qu'il convient de retenir. Mais c'est une population théorique composée des hommes en âge, mais pas forcément en état de porter les armes, de chefs de familles, paysans qui se transforment en soldats de circonstance. C'est une population très médiocrement et très incomplètement équipée. De Wengi, en 1851, prenait le soin de distinguer, dans le total des 600 fantassins, 300 fantassins armés et 300 fantassins non-armés. Les Ouzellaguen s'ils possèdent quelques très rares chevaux, au nombre de 5 selon le bureau arabe à la même date, n'ont pas de cavalerie.

La résistance des Ouzellaguen prend un relief évident à la lumière de cette donnée. Il est certain que même des enfants, des femmes et des vieillards ont été de la partie. Les Ouzellaguen livrent le combat alors que la population a été sérieusement touchée par les ravages du choléra quelques mois auparavant, en juillet, août et septembre 1850. La ponction a été terrible et les Ouzellaguen appartiennent à l'endroit le plus douloureux, sans qu'on puisse en saisir l'ampleur, ils étaient alors indépendants. Le cercle de Bougie a enregistré plus de 4000 morts, rien moins qu'une population entière qui disparaît en quelques jours.

Le chiffre des fantassins engagés par le chérif et les alliés est encore plus mal connu. Les généraux Camou et Bosquet ne livrent aucune évaluation, chose rare. La seule mention fugitive qu'on possède, donnée en forme de surprise par Bougie est la suivante : des contingents "encore nombreux" ont osé affronter la colonne sur le territoire des Ouzellaguen. Peut-être est-ce tout simplement parce qu'ils ne pouvaient apprécier les effectifs dissimulés dans les villages, les chemins, les bois, le fond de ravins, au sommet des crêtes... Peut-être aussi parce que leur nombre n'est pas aussi considérable qu'on peut le croire. Habituellement, les militaires français aiment à dire qu'ils ont rencontré et triomphé d'ennemis largement en surnombre. Pas là, pourquoi ?

Un indicateur de l'importance de ces contingents, sans la marée "habituelle", est l'aveu par les Ouzellaguen de leurs 30 morts (ou 90 selon la source), ajoutant que les contingents kabyles venus à leur secours firent aussi de grandes pertes. Si nous devions faire

 

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une hypothèse, 3000 à 5000 fantassins kabyles serait le chiffre, nous ne pensons pas plus. Au début de l'insurrection, peu avant le combat de Selloum, les contingents de la rive gauche de l’Oued Sahel et du Djurdjura qui entouraient Bou Baghla étaient à peu près estimés au nombre de 3000. Et devant Bougie, au sommet de l'insurrection avec des contingents du Djurdjura, des deux rives de l'Oued Sahel et du Guergour, le 10 mai, le commandant supérieur de Bougie, de Wengi, parlait de 6000 Kabyles, plus tard de 10 000 même, il demandait des renforts d'urgence et une intervention musclée de colonnes. L'exagération est évidente et les chiffres trop bien arrondis. Il est absolument rare d'atteindre 10000 hommes. Au combat d'Aïn-Anou, avec une insurrection encore puissante, Bosquet parle de 6000 Kabyles. Par conséquent, à un moment où l'insurrection est tombée, il y en a de toute évidence moins de 5000 aux Ouzellaguen.

L'engagement de certaines populations par l'envoi de contingents a été très grand, pour preuve la grande fraction des At Salah, chez les At Idjer, qui communique avec les Ouzellaguen par le col de Chéréâ, précitée s’est présentée à la colonne française le 29 pour engager des négociations.

Le nombre des morts des Ouzellaguen dit, quant à lui, combien ils sont mal préparés à une guerre de ce genre et combien ils ont voulu plutôt mourir que céder du terrain.[5] Cette résistance acharnée, peu semblable aux combats entre armées régulières, explique le nombre élevé des morts. Ici, il n'est pas question du déferlement habituel, rapporté à l'heure des insurrections. Les Ouzellaguen ne peuvent jouir de la force cinétique, enthousiaste et dynamique, qui caractérise les insurrections et qui écarte par sa menace et sa panique bon nombre de combats. Ils doivent là, davantage, jouer avec l'inertie de la résistance. Même si le choix du lieu de combat et sa connaissance appartiennent aux Ouzellaguen.

Si dans les luttes traditionnelles les Ouzellaguen devaient faire face à des gens armés de la même façon qu'eux, connaissant les mêmes règles et recourant aux mêmes tactiques, il n'en est plus ainsi face aux colonnes françaises.

 

 

© Abdel-Aziz Sadki    

mis en ligne le 11 février 2013



[1] Note de 2013. La préparation et l’expédition elle-même des colonnes Bugeaud et Bedeau en 1847 ont permis de réaliser une cartographie de la vallée de la Soummam et du versant sud du Djurdjura, en parcourant notamment le fond de la vallée. Cependant, les troupes françaises n’ont pu se produire dans le domaine villageois des Ouzellaguen.

[2] Note de 2013. En réalité, les deux « dénombrements » sont distincts.

[3] Note de 2013. Cependant, les différents services militaires multiplient à dessein les sources d’informations.

[4] Note de 2013. La surmortalité liée à la famine ne touche guère les Ouzellaguen et ne suffit pas à expliquer cette chute statistique. Néanmoins, il est possible que le chiffre ait été porté à la baisse pour des raisons fiscales. Les Kabyles ont montré une solidarité extraordinaire pour les Arabes fuyant par dizaines de milliers la famine. Beaucoup se sont dépouillés pour les sauver et tous ont accepté les divagations des populations en errance, en proie à l’inanition, qui se nourrissaient de tout ce qu’elles trouvaient, dans les jardins, les vergers, les champs, les maquis et les bois, y compris de ce qui n’était même pas arrivé à maturité.  À ce sujet, les Kabyles ont été d’un secours bien plus réel que les bureaux arabes et le gouvernement général, malgré les rapports trompeurs de ces derniers, pour le pays kabyle au sens large tout au moins. C’est la montagne, d’ordinaire pauvre en ressources, qui a fourni cette chance inversée, bioclimatique et humaine, avec le faire-valoir kabyle traditionnel. Par ailleurs, cet épisode – on peut en proposer beaucoup d’autres – bat en brèche les divisions faussement proclamées par les « mythes kabyle, arabe et musulman » inventés alors par les Français et repris, souvent sans en avoir conscience ou en croyant s’en démarquer, par un grand nombre d’Algériens de tous bords depuis les dernières décennies de la période coloniale.

[5] Note de 2013. Le recours aux combattants, appelés imsebelen, est fort probable, au regard de la nature des combats relatés plus loin. Nous en avions conscience, mais aucune source disponible en 1986-1988 ne permettait d’en parler. C’est pour cette raison qu’il n’en est pas fait mention. C. Lacoste-Dujardin nous a par la suite posé la même question. Robin est le premier, quoique tardivement, à avoir fait mention de ce type de combattants.

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